Le principe de séparation de l'Église et de l'État en droit américain et en droit français
Article realisé pour Le Mot Juste par Cynthia Hazelton et traduit de l'anglais par Johann Morri.
Madame Hazelton est née et a grandi aux États- Unis. Elle est diplômée de la faculté de droit de l'Université d'Akron et est membre du barreau de l'État de l'Ohio. Cynthia a un mastère en français du Middlebury College ainsi qu'un mastère en traduction de l'« Institute of Applied Linguistics » de Kent State University. Elle enseigne la traduction juridique, commerciale et diplomatique à cette université.
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Contrairement à une idée reçue, le concept de séparation de l'Église et de l'État est un principe juridique fondamental aussi bien aux États-Unis qu'en France.
Les pères fondateurs de la Constitution américaine ont inclus ce principe dans le « Bill of Rights » de 1789, ayant sans aucun doute à l'esprit les persécutions religieuses qui les avaient initialement conduits de l'Europe vers le Nouveau monde. Ils entendaient faire des États-Unis un pays où la religion n'a pas sa place dans les institutions gouvernementales, et réciproquement. Le premier amendement prévoit que « Le Congrès n'adoptera aucune loi qui concerne l'établissement d'une religion, ou en interdise le libre exercice… ». Quant à la formule « séparation of Church and State », son origine remonte à une lettre écrite par Thomas Jefferson en 1802.
En France, durant la Révolution française, il y eut une brève tentative de séparation de l'Église et de l'État en 1794. Napoléon Bonaparte accéda au pouvoir en 1799. En 1801, il signa avec le Pape Pie VII le
Concordat, un document destiné à apaiser les conflits religieux nés de la Révolution, et de rétablir les liens entre les deux institutions. Ce n'est qu'en 1905 que la France institua le principe de séparation de l'Église et de l'État, avec la promulgation de la loi du 9 décembre 1905. Cette loi dispose que « La République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte »(…). « Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte. » (…) « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. ». Plus largement, le droit français est fondé sur le principe de laïcité.
La déclaration d'indépendance des États-Unis et la monnaie américaine font spécifiquement référence à Dieu, tandis qu'il n'existe pas de référence équivalente dans les documents du gouvernement français ou sur les billets ou pièces de monnaie [1] .
La controverse juridique actuelle aux États-Unis
En théorie, le droit américain interdit la collusion entre l'Église et l'État. Mais, en pratique, en particulier ces dernières années, les tribunaux ont interprété le 1er amendement dans un sens qui diffère de cette vue. La Cour suprême a eu à se prononcer sur des affaires intéressant l'Église et l'État depuis le début du XXème siècle. La Cour s'est notamment prononcée sur les questions suivantes :
-les exonérations fiscales accordées aux institutions religieuses
-le déploiement de symboles religieux ou l'organisation de cérémonies religieuses par les autorités publiques
-la place de la religion dans l'enseignement public
-la polygamie
-les prières dans les écoles publiques
-l'enseignement du créationnisme dans les écoles publiques
-les subventions à l'enseignement religieux
-l'intervention des autorités publiques dans les controverses religieuses
-la réglementation de la vente d'alcool le Dimanche (les « blue laws »)
-les institutions religieuses fonctionnant comme une administration publique
-les inégalités de traitement du gouvernement à l'égard des différentes religions
Plus récemment, le 5 mai 2004, la Cour suprême a jugé que les séances des autorités publiques (par exemple des collectivités locales) pouvaient débuter par une prière de caractère explicitement chrétien. Les plaignants, représentés par l'Association des américains pour la séparation de l'Église et de l'État, ont fait valoir que les prières par lesquelles il était d'usage de débuter les réunions du conseil municipal étaient toujours administrées par des chrétiens, ce qui constituait une entrave à leurs croyances, en tant que non-chrétiens. Le juge Kennedy, écrivant pour la majorité de 5-4, a indiqué : « Ceux qui se sentent exclus ou offensés par de telles invocations religieuses peuvent simplement les ignorer. Les adultes sont souvent confrontés à des discours qu'ils jugent désagréables. »
En réaction à cette tendance, une publicité a été diffusée à la télévision américaine par la Fondation pour la Liberté religieuse le 22 mai 2014. Dans cette publicité, Ron Reagan, Jr. (oui, le fils de l'ancien président des États-Unis) a exprimé son inquiétude face à l'intrusion de la religion dans les affaires gouvernementales. Il conclut en affirmant « Notre Fondation travaille à maintenir l'Église et l'État séparés, comme c'était l'intention des pères fondateurs de notre Constitution ».
La controverse de l'Oklahoma et ses suites judiciaires
En 2012, Mike Ritze, membre de l'assemblée de l'État de l'Oklahoma et ministre du culte dans l'Église Baptiste du Sud, fit don d'une statue représentant « Les dix commandements » à la commission du patrimoine du parlement de l'Oklahoma. Par la suite, cette statue fut installée sur le terrain abritant le siège des institutions. L'ACLU engagea une action en justice en août 2013 contestant l'édification de ce monument sur les dépendances du parlement local.
L'ACLU fit valoir que le déploiement d'un symbole religieux violait à la fois la constitution de l'Oklahoma qui interdit l'usage du domaine public au bénéfice ou au soutien d'une religion et le 1er amendement de la constitution des États-Unis qui prévoit que « Le Congrès n'adoptera aucun loi qui concerne l'établissement d'une religion, ou en interdise le libre exercice… »
En janvier 2014, le Temple Satanique, une organisation religieuse basée à New-York, annonça son intention de déployer une statue en bronze de 7 pieds de haut (2 mètres 13) représentant Baphomet, une créature humaine à tête de bouc utilisée comme symbole par l'Église de Satan, sur le domaine du parlement de l'État de l'Oklahoma. Le temple satanique a fait valoir : « Nous autoriser à faire don de ce monument montrerait que le conseil municipal d'Oklahoma City ne fait pas de discrimination, et les religieux et les non-religieux devraient être satisfaits de ce résultat. » Lucian Greaves, porte-parole du Temple Satanique, ajouta : « S'il est finalement jugé que les 10 commandements ne doivent pas se trouver là, cela aura des conséquences pour nous également. Dans ce cas, les deux symboles devront être enlevés ». Le Temple annonça qu'il cherchait à lever des fonds pour la conception et l'édification de la statue à hauteur de 20 000 dollars. Il en récolta rapidement 30 000.
En réponse à cette initiative, le gouverneur de l'Etat de l'Oklahoma, Mary Fallin, rendit public un communiqué énonçant : « Il n'y aura jamais de monument satanique sur le domaine du parlement de l'Oklahoma et la suggestion qu'il puisse y en avoir un est absurde ».
Le procès suit son cours devant les tribunaux et la statue est prête d'être achevée.
L'origine historique et étymologique du mot « Baphomet »
L'Église de Satan, fondée par Anton Lavey, a adopté la figure de Baphomet comme emblème officiel en 1966. Mais les origines historiques et étymologiques de Baphomet remontent au moins au 11ème siècle, quand ce nom apparut dans un poème en occitan du troubadour Gavaudan.
L'Encyclopédie des démons et de la démonologie, par Rosemary Ellen Guiley, contient l'article suivant : « Baphomet : symbole du bouc satanique. Baphomet est représenté comme mi-humain, mi-bouc, ou avec une tête de bouc. L'origine du nom Baphomet est incertaine. Ce pourrait être une déformation de Mahomet ou Mohammed. »
Quand l'ordre médiéval des templiers fut supprimé par Philippe le Bel, en 1307, le roi fit arrêter beaucoup de templiers, à qui on extorqua sous la torture des confessions d'apostasie. Le nom Baphomet revient dans plusieurs de ces confessions. Dans l'ouvrage Les templiers et leur mythe, (1987), Peter Partner indique : « Au cours du procès des templiers, une des charges principales était leur prétendue adoration d'une idole connue sous le nom de « Baphomet ». La description de cet objet variait de confession en confession ».
Baphomet, de l’œuvre de Eliphas Levi, « Dogme et Rituel de la Haute Magie » , 1854
Alors, les législateurs de l'Oklahoma refuseront-ils la livraison de la statue de Baphomet ? L'installeront-ils à côté des "Dix commandements" ? Ou décideront-ils d'appliquer la Constitution et d'interdire la présence de ces deux symboles religieux sur le domaine public ? Dieu seul le sait !
[1] Néanmoins, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui fait référence à « L'Être suprême », sans mentionner une religion en particulier, il est vrai.
[2] L'apostasie (du grec ancien ἀπόστασις [apostasis], « se tenir loin de ») est l'attitude d'une personne, appelée un apostat, qui renonce publiquement à une doctrine ou une religion. L'apostasie peut également signifier la renonciation de se soumettre à l'autorité représentant ladite doctrine (comme l'autorité religieuse ou celle d'un parti politique. (Wikipedia)
Notes linguistiques du blog :
1. L'origine du nom Baphomet est incertaine. Dire que c'est une déformation du nom du Prophète Mahomet est quelque peu réducteur et simpliste. En outre, nos lecteurs musulmans jugeront l'explication sacrilège. Voyons quelques-unes des hypothèses les plus solides.
1) Dans son ouvrage sur l'histoire des Templiers, Gérard de Sède écrit : « Récemment, quelques spécialistes ont découvert que l'étymologie la plus satisfaisante est arabe : Oubat El Phoumet, ce qui veut dire Bouche du Père. (Sède, de, Gérard. Les Templiers sont parmi nous (l'énigme de Gisors). Paris, René Julliard).
2) Dans Une Histoire des Sociétés Secrètes (1984), l'orientaliste Idries Shah, plus connu sous le pseudonyme d'Arlon Daraul, avance que Baphomet est une déformation de l'arabe أبو فهمة abu fihamat, signifiant « père de la compréhension »
3) Enfin, l'archéologue Hugh J. Sconfield, réputé pour son travail sur les manuscrits de la Mer Morte, propose dans son livre L'Odyssée Essenienne que les inventeurs du mot Baphomet connaissaient le chiffrement Atbash, une méthode de cryptage consistant à remplacer la première lettre de l'alphabet par la dernière, la seconde par l'avant-dernière et ainsi de suite. Baphomet pouvant se transcrire en hébreu par בפומת, (BPWMTh) il donne une fois transcrit שופיא (ShWPYE) ce qui peut être interprété comme une déformation du mot grec σοφια (sophia) signifiant « sagesse ».
La théorie de Sconfield n'a cependant pas pu être étayée davantage et il pourrait s'agir d'une simple coïncidence. (Wikipedia)
2. Le theme de cet article nous rapelle l'expression "Avocat du diable", qui provient du latin médiéval advocātus diabolī (du latin diabolus), c'est-à-dire quelqu'un qui présente des arguments contre la canonisation ou la béatification d'un saint. Un avocat du diable est employe plus largement pour designer une personne qui présente une argumentation ou défend une cause, non parce qu'elle y croit mais pour énoncer un raisonnement ou déterminer la validité d'une cause ou d'une position.
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