à partir du 15 janvier 2015 et après un voyage de presque 5 milliards de kilomètres
Une histoire dans laquelle a été impliquée une Anglaise de 11 ans
Neuf ans après son lancement par la NASA, la sonde New Horizons, parvenue à 4,8 milliards de km de la Terre, va entreprendre, a partir du 15 de ce mois, son exploration de Pluton, (Pluto en anglais) l'astre glacé et méconnu dont la présence dans l'univers n'a ete attestée qu'en 1930.
On se souvient que, le 24 août 2006, après deux semaines de debats, les quelque 2.500 scientifiques réunis à Prague (République tchèque) pour l'assemblée générale de l'Union astronomique internationale (UAI) avaient décidé de rétrograder Pluton au rang de planète naine, au même titre que Céres et la toujours mystérieuse Xena, découverte trois ans plus tôt. Le système solaire se trouvait donc ramené à huit planètes : Mercure, Venus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune.
L'astre (que l'on baptisera Pluton dans les circonstances que nous allons relater) avait été pour la première fois photographié le 13 janvier 1930, par l'astronome américain Clyde Tombaugh, qui a découvert Pluton, mais aussi 14 astéroïdes, et qui était collaborateur de Percival Lowell, fondateur du célèbre Lowell Observatory dans l'Arizona. [1] Dès lors, on disposait d'une preuve de la présence, dans la constellation des Gémeaux, d'un astre situé bien au-delà de Neptune et dont on soupçonnait l'existence depuis la fin du siècle précédent.
Voici un vidéo clip en anglais de 45 minutes qui explique de façon très claire et intéressante la mission de New Horizons.
Mais au niveau moins scientifique et plus personnel, nous voulons vous raconter l'histoire peu connue de la fillette anglaise qui a suggéré le nom de Pluton. À l'époque, les nouvelles ne se propageaient pas aussi vite qu'aujourd'hui et, ce qui enflammerait de nos jours les réseaux sociaux, mit plusieurs semaines à parvenir jusqu'en Angleterre. Toujours est-il que, le 14 mars 1930, les journaux du pays annonçaient la nouvelle et celle-ci n'échappa pas à une fillette de onze ans, Venetia Burney, qui prenait son petit déjeuner en compagnie de sa mère et de son grand-père, Flaconer Madan, bibliothécaire retraité de la Bibliothèque bodléienne à Oxford.
Férue d'astronomie, malgré son jeune âge, Venetia proposa qu'on appelle le nouvel astre Pluton, du nom du dieu souverain des Morts dans la mythologie grecque et romaine. Après tout, l'astre n'était-il pas celui de l'au-delà de Neptune ? L'idée était lancée et elle fit rapidement son chemin. Grand-père avait le bras long : il transmit la suggestion de sa petite-fille à son ami Herbert Hall Turner, professeur d'astronomie à Oxford. Pluton, expliqua-t-il dans sa lettre est un excellent nom pour "the big obscure new baby."
Herbert Turner était justement à Londres pour une réunion de la Royal Astronomical Society où la nouvelle faisait grand bruit, suscitant des propositions de noms venant de partout. En réponse à son ami Madan, il écrivit : « À mon avis, Pluton est excellent. Hier, à la réunion de la RAS, nous n'avons rien trouvé de mieux. La seule suggestion valable a été Kronos, mais cela ne pourrait cohabiter avec Saturne. » (Kronos étant l'équivalent grec de Saturne). Le professeur Turner envoya un télégramme à Flagstaff : « Pour désigner nouvelle planète, prière envisager PLUTON, nom suggéré par jeune Venetia Burney pour astre sombre et lugubre. » À l'insu de Venetia une bataille s'ensuivit et Minerve fut près de l'emporter, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'un astéroïde portait déjà ce nom. Il y eut même un ingénieur autrichien du nom de Hans Hörbiger pour proposer l'imprononçable Onehtn ou « premier trans-neptunien »... Finalement, le 24 mai 1930, les scientifiques de l'observatoire de Flagstaff choisirent très officiellement le nom de Pluton qui rendait aussi hommage à Percival Lowell en commençant par les initiales de son nom.
Venetia Katherine Burney est née à Oxford où son père, le pasteur Charles Fox Burney, enseignait l'interprétation des textes bibliques. Il mourut lorsqu'elle avait six ans, et l'enfant s'en fut alors vivre avec sa mère chez le grand-père Madan. Son intérêt pour l'astronomie lui vint en jouant avec d'autres enfants à disposer dans l'herbe des morceaux de craie figurant la position des planètes par rapport au soleil. Après des études secondaires dans un pensionnat du Berkshire et supérieures au Newnham College de Cambridge, elle devint expert-comptable et enseigna l'économie et les mathématiques. Elle mourut le 30 avril 2014, à l'âge de 90 ans, en Angleterre.
Mme Phair avouait que son choix s'était porté sur Pluton parce que c'était l'un des rares noms de dieux romains qui fût encore disponible à ce moment-là. Pluton connut immédiatement un grand succès puisque Walt Disney l'utilisa pour désigner le chien de Mickey, Pluto, et que l'élément 94 de la classification périodique des éléments, découvert en 1941, fut baptisé plutonium. Plus près de nous, en 1987, l'astéroïde 6235 Burney, fut ainsi désigné en l'honneur de Mme Phair, de même qu'un instrument de mesure des poussières
embarqué à bord de la sonde New Horizons, lancée par la NASA en direction de Pluton, en 2006. [2]. C'est sans broncher et avec un flegme bien britannique que Mme Phair avait appris la décision de l'UAI de considérer Pluton comme une planète naine, un vulgaire amas de rochers et de glace en orbite dans un anneau de débris glacés connus sous le nom de ceinture de Kuiper. En revanche, elle n'admit jamais que son nom ait été inspiré par le chien de Walt Disney. « Il est maintenant abondamment démontré que c'est le chien qui a pris le nom de la planète et non pas le contraire » avait-elle déclaré à la BBC.
Pluton a toujours intrigué la communauté scientifique. Alors que les autres astres du système solaire sont rocheux ou gazeux et décrivent une orbite circulaire autour du soleil, Pluton est largement constitué de glace et suit une orbite très longue et excentrée, mettant 247 années pour faire le tour du Soleil. De plus, avec un diamètre équatorial de 2.380 km, Pluton est bien plus petite qu'on le pensait initialement, plus petite même que notre Lune. De l'aveu même d'Owen Gingerich, président de la commission de l'UAI chargée de définir le statut de planète, petite dernière, la planète naine « dispose d'un énorme fan-club parmi les astronomes ».
La matière du présent article provient essentiellement d'un article de William Grimes, paru dans le New York Times du 10 mai 2009.
Note linguistique. Espace ou Cosmos ?
À l'époque de l'effondrement du Mur de Berlin et du rétablissement de la communication entre les deux parties de l'Allemagne, des linguistes se sont aperçus que deux terminologies s'étaient développées parallèlement de chaque côté du Rideau de Fer et que les concepts modernes ne portaient pas toujours le même nom selon que l'on se trouvât à l'est ou à l'ouest. Dans le domaine de l'astronomie - même si, en principe, l'univers appartient à tout le monde – les deux pays qui ont piloté la conquête de l'espace ont imposé leur terminologie. Si, à l'ouest, il fut toujours question de l'Espace (Space), à l'est et sous l'influence du russe Кόϲϻоϲ, on a toujours parlé de Cosmos. Le terme s'est d'autant mieux acclimaté en français qu'il venait du grec kosmos (bon ordre: ordre de l'univers) qui avait pénétré dans la langue française en 1847 pour désigner « l'univers considéré comme un système bien ordonné. »[1] D'ailleurs, il n'a pas tardé à provigner, donnant tour à tour les néologismes cosmonaute (à partir du premier vol habité de Youri Gagarine) et même cosmodrome, construit sur le modèle d'aérodrome, pour désigner une base de lancement comme celle de Baïkonour, au Kazakhstan. Au Québec, dans la banlieue de Montréal, il existe même, à Laval, un Cosmodôme qui est « un musée scientifique offrant des expositions et des activités liées à l'espace et à l'exploration spatiale ». Le nom de cette institution dément l'idée reçue
selon laquelle le français est toujours plus long puisque le musée de Laval est le pendant canadien du Space and Rocket Centre d'Huntsville (Alabama). Rendre quatre mots par un seul, il faut le faire ! Mais, c'est sans doute le Biodôme, édifié près du stade olympique de Montréal, qui a inspiré ce néologisme. D'ailleurs, le mot espace a, lui aussi, produit des dérivés : spatiologie (sciences et techniques de l'espace), spationaute (le jumeau du cosmonaute) et même spationef, terme lancé en 1963, mais qui n'a pas plus pris qu'astronef et auquel on préfère toujours le calque « vaisseau spatial ». Au reste, il est des vocables qui mettent tout le monde d'accord, ce sont les termes construits à partir d'astro- (du latin astrum : astre) : astrolabe, astrologie, astrologue, astrométrie, astrométrique,
astrométriste, astronaute, astronauticien, astronautique, astronef, astronome, astronomie, astronomique, astronomiquement, astrophotographie, astrophysicien et astrophysique. Sans parler de cette discipline nouvelle qu'est l'astrophilatélie !
[1] Le nouveau Petit Robert, p.541.
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[1] La sonde New Horizons porte les cendres de Tombaugh, selon la demande du scientifique, faite avant sa mort en 1997.
[2] L'instrument était désigné « Venetia Burney Student Dust Counter » , ou « Venetia » en abrégé.
Lecture supplémentaire :
La sonde américaine New Horizons prête à entamer l'étude de Pluton
Le Monde, Sciences, 07.12.2014
L'Union astronomique internationale déchoit Pluton de son statut de planète
Le Monde, Planète, 24.08.2006
Jean L.