C'est tout au moins la thèse que semble accréditer la mairie de Paris puisqu'elle vient de modifier la plaque de la rue Nungesser et Coli, dans le XVIe arrondissement. La nouvelle plaque ajoute que les deux aviateurs français ont traversé l'Atlantique les 8 et 9 mai 1927, et se sont perdus au large de Saint-Pierre et Miquelon. Une dizaine de jours plus tard, Charles Lindbergh traversait l'Atlantique dans l'autre sens et en solitaire. Que doit-on penser de cette prétention ?
1927, l'année de l'Atlantique
Au cours du premier conflit mondial, l'aviation a considérablement progressé. Une fois la paix revenue, les aviateurs, disposant d'appareils beaucoup plus puissants, se lancent dans des raids à grandes distances. Ils privilégient l'Asie où ils survolent des territoires présentant des possibilités d'atterrissage forcé. L'Atlantique leur paraît plus redoutable et difficilement franchissable. C'est alors qu'un grand hôtelier new yorkais et mécène de l'aviation, Raymond Orteig (1870-1939), offre un prix de 25.000$ au premier pilote qui reliera sans escale New York et Paris. Le 21 septembre 1926, René Fonck, l'as des as de 14-18, tente l'aventure avec trois équipiers et à bord d'un bimoteur Sikorsky 35 qui s'écrase au décollage. Un tandem français décide alors de relever le défi. Il se compose de deux « trompe-la-mort » : Charles Nungesser et François Coli. Le premier est un grand as de l'aviation de chasse française, totalisant 45 victoires et 17 blessures. Son co-équiper, le capitaine François Coli, a perdu l'œil droit dans un accident d'avion et porte toujours un monocle noir. Après la guerre, Nungesser se rend aux États-Unis où il effectue un grand circuit à bord d'un Henriot HD1, avec lequel il exécute des simulations de combat aérien qui remportent un très grand succès. C'est peut-être à cette époque que germe en lui le projet d'un vol transatlantique.
L'Oiseau blanc [1]
Rentré en France, Nungesser parvient à persuader le constructeur Pierre Levasseur d'adapter aux besoins de son projet le triplace PL-4 qu'il construit pour la marine nationale. L'Oiseau blanc (alias PL-8) présente les caractéristiques suivantes :
Moteur : Lorraine Dietrich, 12 cylindres en W, de 450 CV
Surface alaire : 61 m2
Envergure : 14,63 m
Longueur : 9,75 m
Hauteur : 3,96 m
Poids au décollage : 4.963 kg
Vitesse maximale : 193 km/h
Autonomie : 42 heures (grâce à un réservoir de 4.025 litres)
En prévision d'un amerrissage, le fuselage a été renforcé. En outre, on a prévu des caissons étanches et un train d'atterrissage larguable. La mission a été très minutieusement préparée. L'avion est tout blanc et porte les macabres insignes de guerre de Nungesser : un cœur noir, avec un crâne et des tibias croisés, surmontés d'un cercueil et de deux cierges allumés. Sinistre présage !
La tentative
Le 8 mai 1927, à 5h21, l'appareil est sorti du hangar et, un peu plus tard, après une première tentative infructueuse, Nungesser parvient à arracher in extremis le biplan de la piste de l'aérodrome du Bourget. S'élevant lentement, il prend la direction de l'ouest et largue son train qui, récupéré, est aujourd'hui exposé au Musée de l'Air. Il quitte le ciel français à la hauteur d'Étretat, on l'aperçoit au-dessus de l'Irlande, puis plus rien... Le 9 mai, un journal du soir annonce : « L'Atlantique est traversé. Ils sont arrivés à 16h50. NUNGESSER ET COLI ont amerri en rade de New York ».
Il n'en est malheureusement rien. Ce n'est qu'une fausse nouvelle que le ministre chargé de l'Aéronautique qualifiera d'illusion collective ! Que sont-ils alors devenus ?
Les conjectures
Deux choses sont avérées : au-delà du sud de l'Irlande, plus personne ne les a vus et, le 9 mai 1927, dans la région où ils sont censés se trouver, la météo est exécrable. S'ils ont atteint Terre-Neuve, ils ont dû y affronter une terrible tempête de neige. Sont-ils tombés dans les eaux du Golfe ou dans les toundras de Terre-Neuve, voire du Labrador ? On ne le saura sans doute jamais. Dans son autobiographie, Charles Lindbergh écrit que les deux hommes ont tout simplement disparu, « comme des fantômes de minuit ». Les recherches entreprises à l'époque par les autorités américaines, canadiennes et françaises n'ont donné aucun résultat. Pourtant, depuis 2009, une équipe de chercheurs français, emmenée par M. Bernard Decré, a effectué des recherches autour de Saint-Pierre et Miquelon, après avoir découvert un télégramme de la Garde côtière des États-Unis en date du 18 août 1927, signalant la présence de deux ailes de biplan liées ensemble flottant au large de Norfolk (Virginie).[2]
En 2013, The New York Times a rendu compte de recherches menées par Decré pour retrouver les ailes qu'il croit appartenir à l'Oiseau blanc, mais aussi de la poursuite de la recherche d'autres débris de l'appareil au large de Saint-Pierre et Miquelon. À l'époque de la mystérieuse disparition, des pêcheurs saint-pierrais auraient dit avoir entendu un avion passer à basse altitude, certains faisant même état d'appels à l'aide. On en a déduit que l'Oisean blanc avait peut-être été abattu par un navire de la Garde côtière des États-Unis qui pourchassait les contrebandiers. Il faut se souvenir qu'à l'époque de la Prohibition, le petit archipel français était le centre d'un vaste trafic d'alcool en direction des États-Unis.[3] Poursuivis par les douaniers, les contrebandiers jetaient souvent leur chargement à la mer et les caisses de spiritueux s'échouaient sur les grèves canadiennes, pour la plus grande joie des riverains qui avaient baptisé cette mâne, le miquelon. Bref, la chasse aux contrebandiers faisait rage et l'hypothèse d'une méprise n'est pas invraisemblable. D'aucuns pensent même que l'Oiseau blanc aurait pu être abattu par des contrebandiers rendus plus nerveux par la présence d'Al Capone à Saint-Pierre.[4]
Il n'en demeure pas moins que, jusqu'à présent, aucun élément matériel, aucun débris, aucun reste de l'Oiseau blanc ou de son équipage n'a été retrouvé qui puisse prouver qu'ils aient atteint le continent américain. Dans ces conditions, Charles Lindbergh demeure le premier aviateur à avoir traversé l'Atlantique et même relié New York à Paris, qui plus est, en solitaire. Lors du dévoilement de la plaque, Mme Catherine Vieu-Charier, adjointe de la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, a voulu préciser le sens de sa démarche : "Ce que nous faisons aujourd'hui n'est pas une réinterprétation de l'Histoire. Ce n'est pas non plus, et je le dis haut et fort, une contestation de l'exploit de Charles Lindbergh". Rappelons que le vainqueur du Prix Orteig a très galamment rendu visite à la mère de Charles Nungesser qui, à l'époque, espérait encore revoir son fils.
La mystérieuse disparition de Nungesser et Coli ne devait pas être la seule tragédie inexpliquée de cette première moitié du XXe siècle. Roald Amundsen, le grand explorateur et vainqueur du pôle Sud (en 1911) se perdra le 18 juin 1928, en tentant de rejoindre le Spitzberg à bord d'un hydravion Latham (dont on retrouvera des débris quelques semaines plus tard). L'aviatrice américaine Amelia Earhardt, première femme à avoir traversé l'Atlantique en 1928, disparaît dans le Pacifique le 2 juillet 1937, alors qu'elle tentait de rejoindre l'île Howland en compagnie de son mécanicien Fred Noonan. Toutes les recherches s'avérèrent vaines. Mais, en 1966, un chercheur américain, Fred Goerner – animé d'un désir d'élucidation voisin de celui de M. Bernard Decré – montre qu'Amelia Earhardt et son mécanicien se seraient écrasés sur l'atoll de Mill et auraient été faits prisonniers par les Japonais. Ils seraient morts quelques mois plus tard, à Saipan. Résoudra-t-on un jour l'énigme de la disparition de l'Oiseau blanc ? La gourmette de Consuelo de Saint-Exupéry, retrouvée le 7 septembre 1998, dans le chalut d'un pêcheur, au large de Marseille, semble autoriser tous les espoirs.
[1] Nungesser a choisi ce nom en souvenir d'un chef indien du Wyoming, rencontré en 1925. Après la guerre, le grand as de la chasse française avait épousé une riche héritière américaine, Consuelo Atmaker, qui portait donc le même prénom que la future épouse d'un autre aviateur, Antoine de Saint-Exupéry.
[2] Le télégramme serait ainsi libellé : It is suggested to Headquarters that this may be the wreck of the Nungesser and Coli Aircraft.
[3] Lorsque les autorités françaises mirent fin à ce trafic, un armateur eut l'audace de prétendre à une indemnité. Le Conseil d'État rejeta son recours (CE, 14 janvier 1938. Compagnie générale de grande pêche).
[4] Thierry Vigouroux. Nungesser et Coli ont-ils été victimes d'Al Capone ? Le Point, 15 août 2011.
Jean Leclercq
Pour rédiger le présent article, l'auteur a largement puisé dans France-Amérique du 19 octobre 2017 ainsi que dans sa documentation personnelle. .
Lectures supplémentaires:
John Gillespie Magee, Jr. 1922 – 1941, Antoine de Saint-Exupéry 1900 – 1944
L'aérophilatélie et l'astrophilatélie – de nouveaux timbres américains et suisse
[55 minutes]
Cet article parut sur Le Mot juste en anglais le 5 novembre 2017