Nous sommes heureux de retrouver Magdalena Chrusciel, notre contributrice fidèle. Magdalena a été notre « traductrice du mois » de mars 2013. Elle a grandi à Genève et y a fait des études qu'elle a ensuite poursuivies à l'Université de Varsovie. Revenue en Suisse et diplômée de l'E.T.I. de Genève, elle possède une palette linguistique aussi large qu'originale avec la maîtrise de quatre langues : polonais, russe, français et anglais. Elle est traductrice-jurée et mène également des activités d'enseignement et de formation professionnelle.
Il n’est nul besoin de chercher à démontrer l’importance de la lecture à des amoureux de l’histoire, pour qui elle est le pain et le sel du quotidien. Dans son ouvrage A Velocity of Being : Letters to a Young Reader, Maria Popova a donné à des personnalités contemporaines l’occasion de réfléchir au rôle important, vital même, que des lectures ont joué dans leur vie. Cette réflexion met en valeur le rôle fondamental de la lecture dans la vie de personnalités telles que Jane Goodall, Marina Abramovic ou Richard Bronson, qui sont autant d'exemples propres à inspirer les jeunes lecteurs.
L'un de ces témoignages est l'œuvre d'une inconnue du grand public, mais qui n’en est pas moins illustre - Helen Fagin. Âgée à l’époque de 21 ans, elle se trouva prisonnière du ghetto de Varsovie où elle organisa des cours clandestins pour des jeunes qui en étaient cruellement privés par l’occupant nazi. Dans sa lettre, elle a décrit l'expérience déterminante, salvatrice, que fut pour elle et ses co-captives, la lecture d’un livre. Cet ouvrage a bouleversé et sans doute sauvé des vies, à l’époque. En effet, elle avait très rapidement compris qu'outre de connaissances et d’informations, ces jeunes captives étaient en quête d’espoir, que seul le rêve pouvait leur apporter.
Un jour, une jeune fille lui demanda de leur raconter un livre. Il faut rappeler qu'en ce temps-là, les livres étaient interdits dans le ghetto. Seuls des ouvrages circulant sous le manteau pouvaient être lus secrètement, en une seule nuit. Ainsi, Helen, qui venait de passer la nuit précédente à lire Autant en emporte le vent, va conter, en une heure de cours, l’histoire de Rhett Butler et de Scarlett O’Hara, de Mélanie et d’Ashley, illuminant ainsi la journée de ses élèves.
Sur vingt-deux jeunes de sa classe, seuls quatre survivront à la Shoah. Ce n’est que bien des décennies plus tard qu'Helen, alors âgée de 97 ans, parlera de cette expérience si déterminante pour elle. En effet, elle rédigera sa lettre pour un événement organisé à la Bibliothèque publique de New York. Émigrée aux États-Unis après la guerre, Helen Fagin y deviendra professeure de littérature, et l'une des inspiratrices du Mémorial de l’Holocauste, à Washington.
Ceci n’est pas sans me rappeler un autre ouvrage, à la force salvatrice, consacré à Proust, rédigé à partir de causeries faites pendant la deuxième guerre mondiale par Jozef Czapski (Prague, 1896 – Maison-Lafitte, 1993), alors prisonnier des camps soviétiques. Écrivain et peintre polonais renommé – depuis peu, un musée lui est consacré à Cracovie [1] - Jozef Czapski avait alors présenté à ses compagnons de captivité son analyse de l'œuvre de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, redonnant ainsi espoir et humanisme à des êtres en proie à la déchéance [2]. Par le pouvoir des mots, ils recommençaient à vivre !
[1] Musée national – Le pavillon Jozef Czapski, 42, Pilsudskiego, Cracovie – un lieu d’expositions permanente et temporaires, en été également cinéma en plein-air.
[2] Proust contre la déchéance : Conférence au camp de Griazowietz, éd. Noir sur blanc, 1987
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