Nous accueillons notre nouvel invité, Colman O'Criodain, docteur en biologie et écrivain, d'origine irlandaise, dont le blog se trouve à http://www.
Colman O'Criodain Magdalena Chrusciel
C'est en 1905 que James Joyce avait achevé sa première œuvre majeure de fiction, un recueil de nouvelles, Gens de Dublin (Dubliners). S'ensuivit une longue période de déconvenues, au cours de laquelle il soumit son manuscrit à 18 reprises à 15 éditeurs différents. Après avoir accepté de le publier en 1905, l'éditeur Grant Richards de Londres exigea qu'une des nouvelles soit retirée (Two Gallants, où le protagoniste raconte comment il s'y prit pour séduire une femme). Par la suite, Richards exerça des pressions sur Joyce afin qu'il retire un certain nombre de passages dont il prétendit que l'imprimeur refusait de les imprimer. Tout en protestant, Joyce finit par céder à certaines des pressions. Cependant, en fin de compte, Richards ne tint pas sa promesse de publier. Au terme de trois années de recherches, Joyce passa un accord avec Maunsel & Roberts, à Dublin, qui se désistèrent eux aussi, menaçant même Joyce de le poursuivre pour les frais d'impression déjà encourus. Bien qu'il offrît de couvrir ces frais, étant entendu que les épreuves lui soient remises et qu'on l'autorise à terminer l'ouvrage ailleurs. Toutefois, lorsqu'il vint chercher les épreuves chez l'éditeur, on refusa de les lui remettre et on les brûla le lendemain. Par chance, il avait réussi à sauver un exemplaire, qu'il soumit à d'autres maisons d'éditions. En 1914, c'est Grant Richards, une fois encore, qui se décida à publier l'ouvrage, en utilisant les épreuves sauvées de chez Maunsel.
Chacune des nouvelles est un chef-d'œuvre en miniature, et l'ouvrage est sans aucun doute l'œuvre de Joyce la plus accessible et la mieux connue du plus grand public. La dernière des nouvelles, The Dead, (Le mort) en est la pièce maîtresse, la plus longue de toutes, presque aussi longue qu'un roman.
En 1987, le récit fut adapté pour le grand écran par John Huston, dont la carrière prolifique de metteur en scène (il fut aussi acteur et scénariste) avait commencé en 1941 avec Le faucon maltais.
En fait, Le mort sera son dernier film et, à bien des égards, le plus personnel, car il était fier de sa nationalité irlandaise. Il se mourait alors d'un cancer, lié à une chaise roulante et dépendant d'une bonbonne d'oxygène. Il n'a d'ailleurs pas vécu assez longtemps pour assister à la première. Le rôle de Gabriel fut interprété par le très talentueux Donal Mc Cann, qui n'est plus de ce monde lui non plus (j'eus la chance de le voir sur scène à plusieurs reprises, c'était une vraie force de la nature). C'est Anjelica, la célèbre fille de John Huston qui interpréta Gretta, avec un accent irlandais qu'elle maîtrisait à perfection. La scène centrale des escaliers était magnifiquement filmée, Huston la tournant en contre-plongée et la montrant perdue dans ses pensées alors qu'elle écoute Bartell D'Arcy chanter dans la pièce voisine.
John Huston Anjelica Huston
C'est le ténor irlandais Frank Patterson, décédé depuis, qui jouait le rôle d'Arcy. Bien que Patterson connut une carrière assez moyenne en Irlande, c'est pour son interprétation de chansons traditionnelles irlandaises, dont The Lass of Aughrim, qu'il est connu des deux côtés de l'Atlantique. Il interprétait ces chants dans un style classique, en vogue au dix-neuvième et début du vingtième siècles. À cet égard, sa carrière ressembla à celle d'un de ses aînés, John McCormack (1884 to 1945), qui fut un des ténors les populaires de sa génération.
Frank Patterson John McCormack
En fait, McCormack et Joyce se connaissaient, puisque Joyce était un pianiste et un guitariste talentueux, et surtout un ténor léger. Ils avaient suivi les cours du même maître, Vincent O'Brien, et il leur est arrivé de jouer ensemble. Ayant lui-même remporté la Médaille d'or du concours irlandais de musique Feis Ceoil en 1903, McCormack persuada Joyce de se présenter en 1904 et il y décrocha la Médaille de bronze.
Les deux hommes quittèrent Dublin peu après, Joyce, pour s'engager dans une carrière incertaine d'écrivain et en vivant pauvrement à Paris, Zurich et Trieste, tandis que McCormack entamait une brillante carrière dans les opéras et salles de concert d'Europe et des États-Unis, pays dont il prit la nationalité en 1917. Bien que leurs carrières s'orientèrent différemment, la musique resta pour Joyce une source d'inspiration, comme en atteste Le mort (The Dead).
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