un apercu historique, romantique et machiste de Georges Clemenceau
La signature de la paix dans la Galerie des Glaces |
Le 28 juin 2019 marque le centième anniversaire de la signature du traité de Versailles qui mit fin à la Première Guerre mondiale et donna naissance à la Société des Nations, préfiguration de l'actuelle Organisation des Nations Unies [1]. Orchestrée par les quatre Grands (Royaume-Uni, France, Italie et États-Unis), la Conférence de Versailles, qui dura du 12 janvier au 28 juin 1919 (soit 167 jours), réunit à Paris bon nombre de dirigeants du monde et notamment le Président des États-Unis, Woodrow Wilson [2], le Premier ministre britannique, Lloyd George, et le Premier ministre italien, V.E. Orlando. Le président du Conseil français, Georges Clemenceau, accueillit la conférence avec d'autant plus d'aisance qu'il parlait l'anglais presque aussi bien que le français, bien que l'historien Paul Mantoux servit comme son interprète [3].
Le Conseil des Quatre à Versailles, |
« Copie certifiée » |
En outre, Clemenceau joua un rôle majeur dans la rédaction du traité de paix de Versailles, signé le 28 juin 1919. D'autres personnalités, appelées à la célébrité historique, étaient présentes, notamment Jan Smuts d'Afrique du Sud, Ho Chi Minh, [4] Lawrence d'Arabie [5] et J. M. Keynes, économiste britannique de notoriété mondiale.
Smuts | Minh | Lawrence | Keynes |
On a beaucoup écrit sur le rôle de Clemenceau à la Conférence de Versailles [6] et sur les répercussions du Traité. Le présent article se veut une courte biographie du personnage, centrée sur son épouse américaine. Certains pourront qualifier leur mariage de « choc des cultures ».
Georges Clemenceau (1841-1929) a été surnommé Le Tigre, en raison de son style oratoire à la fois passionné et incisif. Ardent républicain, Clemenceau, dans sa jeunesse, s'oppose au régime monarchique de Napoléon III jusqu'au point d’entrer en conflit avec les autorités en raison de ses opinions politiques. En 1865 il cherche refuge aux États-Unis.
En 1868, Georges a 26 ans et il est endetté. Pour arrondir son salaire de correspondant du Temps, il offre ses services à une certaine Catherine Aiken, qui dirige une institution pour jeunes filles de la bonne société, à Stamford (Connecticut) [7]. L'école l'engage pour enseigner le français et l'équitation.
Le jeune Français, courtois et distingué, fascine tout autant ses collègues que ses élèves. L'une d'elles se nomme Mary Plummer. Clemenceau, séduit par son élève, ne tarde pas à lui faire une cour tumultueuse, aboutissant à un mariage en moins d'un an. Ils s'unissent à New York, en 1869. Elle avait alors 20 ans, lui 28.
Ils rentrent en France au bout d'un an. L’installation à la maison familiale de l’Aubraie (en Vendée) n’est pas facile pour cette jeune Américaine, certes francophone, mais habituée à plus de liberté d’action que celle dont peut jouir, à l'époque, une jeune femme française. Dans ce milieu étroit, « occupée en bonne ménagère à raccommoder des bas », Mary s’ennuie rapidement, tout en continuant à apprendre le français avec son professeur devenu son mari. .
l’Aubraie en Vendée | Portrait de Mary Clemenceau par Ferdinand Roybet |
Clemenceau avait déjà obtenu son diplôme de médecin en 1865. Quand éclate la guerre franco-prussienne de 1870, il y prend part en tant que médecin. De Paris assiégé, il envoie à sa femme des lettres par ballons postaux, dont la très belle missive retrouvée en 1933, seule trace aujourd’hui de la passion qu’il put éprouver pour elle. Ce pli, rédigé en anglais, atteste de la tendresse que Clemenceau éprouve alors pour « sa petite épouse chérie » qui a osé suivre le séducteur qu’il demeure.
Par la suite, il abandonne la médecine et s'engage activement dans la vie politique française, d'abord comme maire du 18ème arrondissement de Paris, puis comme député à la Chambre, et ministre de l’intérieur. À mesure que grandit son influence politique, il se détache un peu plus de son épouse. Il ne donne à Mary qu'une maigre allocation pour les besoins de leur famille, si bien qu'elle est obligée de travailler comme guide et d'écrire dans des revues pour pouvoir joindre les deux bouts.
Le ménage ne dura qu'à peu près sept ans ; trois enfants en naquirent. Le couple se sépara et, par la suite, divorça.
En 1906, (à l'âge de 65 ans), et encore en 1917, Clemenceau devient président du Conseil (Premier Ministre), poste qu'il occupe jusqu'en 1920. Dans cette fonction, son influence fut immense. Clemenceau (qui méprisait secrètement le Président Woodrow Wilson [8]) joua le premier rôle lors de la Conférence de Versailles qui mit fin à la guerre de 1914-1918.
Clemenceau eut de nombreuses maîtresses, mais quand sa femme prit comme amant le précepteur de leurs enfants, il la fit écrouer pour adultère pendant deux semaines à la prison de Saint-Lazare et la renvoya aux États-Unis, en troisième classe. Il divorça, obtenant la garde des enfants et la radiation de la nationalité française de son ex-épouse.
Bien qu'ébranlée psychologiquement par l'échec de son mariage, Mary Plummer Clemenceau n'en revint pas moins en France en 1920 et devint guide pour touristes et publia plusieurs articles dans des revues américaines. Elle ne verra Georges plus jamais.
Mary est retournée en France, d'après certains spécialistes français probablement après la guerre de 1914-1918. Toutefois, M. Philip Devlin, historien amateur du Connecticut, nous a envoyé une coupure du Leader Telegram, publié dans l'Etat de naissance de Mary, le Wisconsin, en date du 28 janvier 1921, dans laquelle il est question de visites que des soldats originaires de sa ville de Duran (Wisconsin) lui auraient rendues, alors qu'elle habitait à Sèvres (en France) pendant la guerre. L'article mentionne que les anciens amis de Mary, originaires de Duran, se souviennent d'elle comme d'une jeune femme à la fois jolie et charmante, exprimant le regret que le chagrin se soit ensuite installé dans sa vie.
Mary mourut seule, dans son appartement parisien, en septembre 1922, brouillée avec ses enfants, à près de 74 ans. Cette meme année, Georges a fait son dernier voyage aux États Unis, où il a été accueilli somptueusement par le Président Harding, et a rendu visite a Wilson, qu'il a trouvé à coeur brisé à cause de l'échec de la Traité, qui n'avait pas été approuvé par le Congrès des États Unis. Georges mourut en 1929, à 88 ans, dans l'ancien appartement de l'écrivain Robert de Montesquiou.
Jonathan Goldberg & Jean Leclercq
----------------
[1] La signature historique sera évoquée au Musée des beaux‐Arts d’Arras, à travers une vingtaine d’œuvres réunies dans une scénographie qui replongera le public dans l’Histoire et dans les lieux de cet événement, le château de Versailles et sa galerie des Glaces. Documents, photographies et films permettront de comprendre pourquoi Versailles fut choisi pour accueillir cette journée et comment la galerie des Glaces retrouva, le temps d’une journée, son rôle diplomatique. https://bit.ly/2Fl3fNU Les Professeures Jacqueline Sanson et Sylvie Brodziak (images ci-dessous), commissaires de l’exposition, l’ont présentée au président de la République et à son épouse le 29 octobre 2018. https://bit.ly/31OkRvb
[2] Dans un article anonyme publié le 9 septembre 1893 par l'Evening Star de Philadelphie, un Américain qui a rencontré Clemenceau à Montmartre en 1871, donne ce témoignage : "Il est le seul Français que je connaisse qui parle anglais avec une exactitude totale. C'est un anglais américain idiomatique, eloquent, incisif."
[3] Woodrow Wilson fut le premier Président américain à quitter les rivages des États-Unis en cours de mandat. Après neuf jours de mer à bord du S.S. George Washington, Wilson débarqua à Brest (France) et se rendit par voie terrestre à Versailles où il prit la tête de la délégation américaine à la conférence de paix. Il resta en France du 7 janvier au 18 juin, sauf pendant un mois où il s'en retourna aux États-Unis.
[4] Ho Chi Minh qui, par la suite, devait diriger victorieusement les forces du Vietminh d'abord contre le pouvoir colonial français, puis contre la coalition emmenée par les États-Unis, jusqu'à la libération totale de son pays, avait quitté l'Indochine le 5 juin 1911 pour se rendre en France en travaillant comme aide-cuisinier sur le vapeur Amiral de Latouche-Tréville. Le navire arriva à Marseille un mois plus tard, le 5 juillet 1911, et poursuivit sa route vers Le Havre et Dunkerque, avant de revenir à Marseille où Ho Chi Minh posa sa candidature à l'École coloniale française. Sa candidature fut rejetée. Dès 1919, il commença à témoigner de l'intérêt pour la politique alors qu'il vivait en France. Il rejoignit un groupe qui entendait présenter une pétition pour la reconnaissance des droits civiques de la population vietnamienne d'Indochine française aux puissances occidentales aux pourparlers de paix de Versailles.
[5] Lawrence servait d'interprète d'arabe de l'émir Fayçal ibn Husseinl.
[6] Il survécut à une tentative d'assassinat par un anarchiste pendant les pourparlers de paix, mais se rétablit rapidement et conserva une balle dans le dos pour le reste de son existence.
[7] La ville de Stamford, située à environ 70 kilomètres de New York et qui compte actuellement quelque 130.000 habitants, est le lieu de résidence de Marjolijn de Jager, notre Linguiste du mois d'octobre 2014.
[8] Célèbre pour ses bons mots, Clemenceau n'en était pas moins une fort méchante langue. Ainsi, raillant le pacifisme messianique du Président Wilson, il dit de lui : « Il se croit un second Jésus-Christ venu sur terre pour convertir les hommes. »
------------------------
Sources:
Sylvie Brodziak, Jacqueline Sanson : Georges Clemenceau –
Le courage de la République
Editions du Patrimoine (11 octobre 2018)
Il nous faut mentionner tout particulièrement l'aide généreuse qu'a fournie à la rédaction du présent article Madame Sylvie Brodziak, Professeure des universités en Littérature française et francophone et Histoire des idées à l’Université de Cergy-Pontoise. Madame Brodziak a écrit plusieurs ouvrages sur Clemenceau, de même que l'article Mary Plummer du Dictionnaire Clemenceau, Edition Bouquins 2017, dont elle est la co-éditrice. Certains passages de notre article sont même transcrits de ce Dictionnaire.
L'aide de Mme Brodziak a été d'autant plus appréciée qu'il s'est avéré difficile de recueillir des renseignements sur l'école de Stamford à l'époque de Clemenceau. Cet établissement d'enseignement n'existe plus et sa fondatrice, Catherine Aiken, n'a pas laissé d'héritiers. L'intéressé lui-même ne fait aucune allusion à l'époque où il enseignait le français et l'équitation (ce dernier fait étant contesté) dans son autobiographie : Grandeurs et Misères d'une victoire.(Plon, 1930).
Margaret MacMillan : Paris 1919, Six Months that Changed the World Penguin Random House (2003) |
Alan Sharp: Versailles 1919 - A Centennial Perspective Haus Publishing (October 15, 2018) |
M. Ron Marcus, de la Stamford Historical Society nous a aussi beaucoup aidés.
Lectures supplémentaires :
How the Treaty of Versailles ended WW1 and started WW11
National Geographic, May 31, 2019
Behind the Hall of Mirrors: Versailles study day – 24 June 2019
The National Archives
Il y a cent ans...
Un aristocrate britannique décide du sort du monde arabe – et meurt trois ans plus tard de la grippe espagnole
Source vidéo :
Comments
You can follow this conversation by subscribing to the comment feed for this post.