Nécrologie
Sidney Rittenberg (chinois : 李敦白; pinyin: Lǐ Dūnbái), premier citoyen américain à adhérer au Parti communiste chinois (PCC), est mort le 24 août 2019. À la fois journaliste, universitaire et linguiste sinisant, il vécut en Chine de 1944 à 1980 où il collabora étroitement avec Mao Tsé-toung, Chu Teh, Chou en-lai et d'autres dirigeants du PCC.
Mao Tsé-toung et Chu Teh |
Chou en-la |
Pendant la Révolution chinoise, il a été aux côtés de ces hauts dirigeants communistes à Yan'an. Il fut un témoin direct d'une bonne part de ce qui s'est passé au sommet du PCC, et a connu personnellement bon nombre de ses dirigeants. Par la suite, il fut incarcéré en isolement à deux reprises, pendant un total de 16 ans, dont six (1949-1955) parce que Staline le considérait comme un espion américain, et dix autres (1968-1977) pour s'être attiré les foudres de la femme de Mao, Jiang Qing, pendant le chaos de la Révolution culturelle. [1]
Ayant perdu ses illusions quant à l'idéologie communiste, il s'en retourna aux États-Unis où ses relations et son expérience chinoises lui permirent de diriger un cabinet de conseil qui lui rapporta des millions de dollars.
Dans son autobiographie, The Man who Stayed Behind (Celui qui est resté en arrière), Rittenberg raconte comment il acquit une connaissance du chinois qui lui permit d'interpréter des dirigeants de la Révolution communiste chinoise.
En 1942, Rittenberg fut mobilisé et affecté à l'armée américaine en Chine. On lui fit apprendre le japonais. Mais, certain que le Japon allait perdre la guerre, il n'entendait pas passer son temps dans ce pays, au service des autorités américaines d'occupation. « Je parvins à bifurquer vers un cours de chinois » explique-t-il, et après avoir étudié le chinois à Stanford pendant un an, il fut affecté en qualité de spéciste de la langue chinoise à Kunming, en Chine méridionale.
Expliquant comment il s'est épris du mandarin, Rittenberg écrit : « en tant qu'élève d'une école préparatoire [aux États-Unis], j'étais premier de classe en français et en latin. À l'université, j'étais très bon en allemand. Mais, rien ne m'avait jamais autant passionné que le chinois. Pour moi, étudier le chinois, c'était comme franchir la petite porte d'Alice pour entrer au Pays des merveilles. [2] En chinois, avec son écriture à base d'images, un mot non seulement signifie ce qu'il signifie, mais est ce qu'il signifie. Le mot « beauté » signifiait beauté, bien sûr. Mais, pas seulement beauté. Il signifiait être beau, embellir, penser à la beauté. Le mot lui-même était beauté. En chinois, un mot pouvait sauter dans tous les sens, comme une reine sur un échiquier, comme aucun système alphabétique ne permettra jamais de le faire. Il n'y avait pas de déclinaisons, ni d'absolus ablatifs pour l'en empêcher. Les sons eux aussi ne ressemblaient à aucun de ceux que j'avais entendus jusque-là. Un même mot peut avoir des sens différents selon la façon dont il est accentué, comme les notes d'un carillon [3]. Nuit après nuit, je me tenais assis près de mon instructeur, dans le sous-sol d'un immeuble du quartier chinois de San Francisco, lui criant des syllabes, en tentant d'apprendre à accorder les notes de ce carillon. »
La ville de Yan'an était le terminus de la Longue Marche de Mao [4]. Dans les grottes des environs de Yan'an, là où Rittenberg rencontra Mao Zedong, et où se trouvait le quartier général du Parti communiste, de 1936 à 1948, Rittenberg travailla avec une équipe d'anglophones comme conseiller de la section de radiodiffusion en langue anglaise où il était le seul de langue maternelle anglaise.
En 1960, Rittenberg rejoignit une équipe d'élite composée d'universitaires, d'économistes et d'anglophones de Chine, chargée de retraduire en anglais le premier des trois tomes des mémoires de Mao ainsi que d'en traduire un quatrième tome. Dans son autobiographie, Rittenberg revient longuement sur les discussions et les débats qui eurent lieu au sein de l'équipe de traduction et d'édition à propos de certaines nuances du chinois et de l'anglais.
Vers la fin de sa vie, Rittenberg écrit :
« Je ne regrette nullement mes années passées en Chine, même en prison. J'étais animé alors, comme je le suis aujourd'hui, d'un désir insatiable de soutenir le peuple chinois dans sa volonté de goûter aux responsabilités et aux bienfaits de la liberté. »
[1] Après la mort de Mao, sa veuve, Jiang Qing, fit partie de la "Bande des Quatre". Elle fut arrêtée et jetée dans la prison où Rittenberg avait été détenu pendant dix ans après que Jiang l'eût dénoncé.
[2] Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles,1865.
[3] Cette variation du sens d'un mot selon son accentuation est une source de pataquès pour celui qui apprend le chinois ! Une confusion entre les quatre tons et c'est la catastrophe. Mais, de même que, dans nos langues, nous nous amusons des jeux de mots, les Chinois pratiquent les jeux de tons, avec des effets tout aussi désopilants.
[4] Nom donné à une retraite effectuée par l'Armée Rouge du Parti communiste de Chine, préfiguration de l'Armée de Libération populaire, pour échapper à l'armée du Kuomintang (KMT ou Parti nationaliste chinois).
Note historique/littéraire :Avant l’instauration du communisme en Chine, la personne la plus communément associée à ce pays dans l'esprit du grand public américain était la femme de lettres, Pearl Sydenstricker (épouse Buck) (1892-1973), lauréate du Prix Nobel de littérature, en 1938.
À l’âge de trois mois, elle part, avec ses parents missionnaires presbytériens, en Chine où elle apprend le mandarin avant l'anglais. Elle retourne aux États-Unis pour y faire ses études supérieures. Sa vie sera ensuite partagée entre les deux pays.
La production littéraire de Pearl Buck est aussi riche que variée. Elle a tâté de tous les genres : romans, nouvelles, essais, pièces de théâtre, recueils de poèmes et même un livre de cuisine ! Son ouvrage The Good Earth (1931), publié en français sous le titre La Terre chinoise (traduit par Théo Vartel [5], Paris, Payot, 1932) lui a valu le Prix Pulitzer du roman en 1932.
En 1938, Pearl Buck reçoit le Prix Nobel de littérature pour « ses descriptions riches et épiques de la vie des paysans en Chine et pour ses chefs-d'œuvre biographiques ».
Elle a créé une fondation humanitaire pour l'adoption des enfants abandonnés et y a consacré du temps et de l'argent. Elle a aussi défendu les droits des femmes et des minorités.
[5] Théo Varlet, alias Déodat Serval (1978-1938) est un poète, écrivain de fantastique et de science-fiction, et traducteur français du XXe siècle.
Jonathan Goldberg & Jean Leclercq
Petit lexique de la Chine communiste:
The Long March |
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Président du Parti communiste |
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Great Leap Forward |
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Counter Revolution |
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Dirigeant (ou chef) suprême |
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Cult of Personality |
Culte de la personnalité |
Gang of Four |
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Founding father |
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Tinamin Square |
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The Great Proletarian Cultural Revolution |
Lecture supplémentaire :
Valentin Mikhaïlovitch Beriejkov. J'étais interprète de Staline. Histoire diplomatique (1939-1945)
Traduit du russe par Max Heilbronn.
Paris, Éditions du Sorbier (1983).
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