Nous sommes heureux de retrouver Elsa Wack, notre linguiste du mois de janvier 2014. Elsa, née à Genève, est traductrice indépendante de l'anglais et de l'allemand vers le français. Titulaire d'une licence ès lettres, ayant aussi fait de la musique, du théâtre et du cinéma, elle aime écrire et sa préférence va aux traductions littéraires.
Herr Norbert Schild était de taille moyenne, un peu gros, blond mal peigné. Il portait des costumes-cravates et des bagues assez ostentatoires. C’était un rat de bibliothèque… aux dents longues. Il était rapide et discret quand il s’agissait de découper des pages dans de précieux manuscrits, peut-être à l’aide de ses bagues. Il usait de pseudonymes, se présentait comme doctorant, historien ou journaliste et se faisait parfois apporter des ouvrages qui étaient détenus dans des coffres.
Il vivait en grande partie de ces vols.
Sa préférence allait aux cartes géographiques d’atlas anciens. C’était le domaine qu’il avait étudié et il savait en discuter avec compétence avec les bibliothécaires, sans fuir leurs regards.
Un jour de février 2006, il s’est fait prendre en flagrant délit dans la ville allemande de Tier. Non sans humour, il a déclaré : « Ça valait la peine d’essayer », laissé sa carte de visite sur la table et s’est enfui en courant, emportant la carte géographique qu’il venait de découper.
Surnommé le « rat de bibliothèque » (Büchermarder, littéralement « fouine de livres ») dans les bibliothèques allemandes, Schild a fait l’objet de leur part de très longues recherches concertées. Il s’avérait difficile d’intéresser la police à son cas : il contestait toujours les accusations, généralement fondées sur des preuves qualifiées d’« indirectes ». Une perquisition effectuée chez lui en 2002 déjà n’avait mis au jour aucune carte volée. Quant au butin de son flagrant délit de Trier, il était trop faible aux yeux de la police (500 euros).
Schild faisait différents petits boulots, mais on pense qu’à la fin des années 1990, il tirait plus de 100'000 dollars par an de son activité de vol de cartes géographiques anciennes, qu’il pratiquait en professionnel. Il fallait être un lecteur attentif pour remarquer ses découpages.
Marié quatre fois, il était père de trois enfants.
Norbert Schild a pratiqué cette activité pendant plus de trente ans. C’est en 1988 qu’il est signalé pour la première fois à Darmstadt. En 2002, il est à Bonn : il y dérobe un livre du mathématicien Keppler (1571-1630). En 2005, à Munich, il fréquente la bibliothèque de l’Université pendant des mois et y ampute près de cinquante ouvrages. En 2006 il est à Trier, quelques mois plus tard à Oldenburg. À Paris en 2006, dans une brocante spécialisée dans les illustrations historiques, il négocie des cartes que deux bibliothécaires d’Oldenburg retrouveront à Breda, Hollande, dans un magasin d’antiquités.
La bibliothèque d’Oldenburg tente de racheter les pages qui lui ont été dérobées, mais l’antiquaire les vend ailleurs à meilleur prix.
En 2010, on revoit le voleur à Darmstadt, où les bibliothécaires lui fixent un rendez-vous-traquenard. Il ne vient pas.
Au fil du temps, il a été accusé d’une douzaine de vols et escroqueries, pour lesquels s’en est tiré chaque fois avec des amendes et le sursis, sauf dans un cas où il fait un an et demi de prison, au début des années 2000.
En 2017, il se présente comme « professeur retraité » à Innsbruck, en Autriche, et y dérobe une carte de l’astronome et mathématicien Keppler (de nouveau), estimée à 30 000 euros. Ce vol lui vaudra de se retrouver devant un tribunal en 2019, dans son district de Bochum dans la Ruhr. Devant les juges, Schild sirote du Coca light. Il nie être en possession de la carte, qui n’a pas été retrouvée.
Cette fois, on le condamne à un an et huit mois ferme. Il fait appel, se dit malade : diabète, cancer, troubles cardiaques. La peine est suspendue…
Sa photo est toujours placardée dans la bibliothèque régionale d’Oldenburg. Elle n’est pas en évidence, on pourrait presque croire qu’il s’agit d’un souvenir. Pourtant, c’est un avertissement.
Source: Atlas Obscura, le 27 novembre 2020
Lecture supplémentaire :
Found: Medieval Manuscripts Stolen from Italy, Hiding in the Boston Public Library
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