Voici le premier article dans une série d'articles que nous avons l'intention de presenter à nos lecteurs avant l'ouverture des Jeux Olympiques qui se dérouleront à partir du 27 juillet 2012.
Cet article a bénéficié du concours érudit de notre collaboratrice, Françoise la Plume de Dussert . Françoise est une traductrice professionnelle, diplômée en littérature française, née en France, vivant en Angleterre depuis de longues années. Imprégnée des deux cultures, elle est adepte du grand écart linguistique.
Du français et des Jeux
Ma propre fille, toute française qu’elle soit, n’est peut-être pas seule à s’être demandé, lors des derniers Jeux Olympiques, pourquoi on parlait tant le français à Pékin…
L’honneur en revient à un Français peu ordinaire à qui les Jeux Olympiques modernes doivent beaucoup. Le Baron Pierre de Coubertin, un aristocrate que ses origines autant que ses dispositions promettaient à une carrière toute tracée dans les armes, la politique ou la diplomatie devait investir dans la réinvention des Jeux toute la pugnacité, l’ambition et la souplesse qu’il aurait pu déployer ailleurs.
Hors norme
Fils de l’aristocratie, il choisit une carrière d’intellectuel se spécialise en droit et en sciences politiques. Il sera l’auteur de quelques 1.400 livres, brochures, articles, conférences. Cependant, loin de s’enfermer dans une de ces tours d’ivoire auxquelles l’esprit français trouve tant d’attraits, il choisit de s’adresser à des problèmes concrets et leur cherche des solutions pratiques. Nationaliste, il pense qu’un avenir glorieux pour la France repose sur l’éducation des générations futures. Le voilà donc pédagogue.
Mais son patriotisme ne l’aveugle pas : il n’est que trop conscient de l’hégémonie Britannique à l’époque ; et ses visites sur le terrain on tôt fait de le convaincre que la vigueur du pays doit beaucoup au sport intensément pratiqué partout mais notoirement dans ses écoles et collèges. Il vouera en particulier un culte à Thomas Arnold, le Maître de Rugby – culte qui doit beaucoup à Thomas Hugues par Tom Brown interposé. De ses impressions, il tirera un livre : « l’Éducation en Angleterre »: « ce qui faisait défaut à la jeunesse française, c’était ce jardin pour la culture de la volonté que constitue le sport organisé. […] La pédagogie sportive telle que la comprenait Thomas Arnold est le meilleur et le plus actif levier dont puissent faire usage les éducateurs de tous les pays en vue de former des adolescents solides au moral comme au physique. »
Thomas Arnold
Classique…
Après tout, l’humanisme d’un Arnold, sa poursuite d’un esprit sain dans un corps sain est-elle si loin de ce qui s’est pensé de mieux en France, de la tête plutôt bien faite que bien pleine de Montaigne, toujours soucieux de «conduire ensemble au même pas » l’âme et le corps ? Il n’a pas manqué en France de saine réflexion sur l’éducation, de Rabelais à Rousseau, ni de saine critique, de Jules Vallès à Boris Vian.
Jules Vallès | Boris Vian (Photo: Jean Weber) |
L’éducation selon Coubertin ne démentirait pas celle de gargantua, qui fait la part égale à l’acquisition des connaissances et au développement du corps tant à des fins ludiques de détente qu’aux fins utilitaires de l’art de la guerre. (Ne perdons pas de vue que l’objectif reste d’assurer à la France sa place dans le concert des nations.)
Et c’est encore Montaigne qui préconisait la lecture des « récits historiques » qui renseignerait les enfants sur « les grandes âmes des meilleurs siècles », une histoire moins férue de dates et plus « enseignante de vie » chère aussi au Coubertin auteur d’une « Charte de l'enseignement historique ».
Mais non moins moderne
Le recours au sport dans la société moderne ne saurait être réservé à une élite choyée : le « rebronzage pédagogique » (Oh l’audacieuse formule !), l’organisation des loisirs, c’est pour tout le monde : Il se souciera de la création d'un enseignement universitaire ouvrier, fondra la « Société des sports populaires ». Déjà en 1897, il organisait un congrès de Pédagogie sportive. Son inspiration pour ces initiatives, il n’a pas peur d’aller la chercher à l’étranger, un étranger dont il admet la supériorité. Il ira donc reconnaître (à plus d’un titre) le chemin déjà parcouru là ou l’on a déjà pris beaucoup d’avance. Il correspond avec des universitaires américains et même avec le Président Teddy Roosevelt.
On commençait, dans les milieux scientifiques à vanter les bienfaits de l’athlétisme sur la santé et le sport organisé, dont les ligues de base ball, connaissait aux États-Unis un vif succès. En décembre 1889 Le New York Times signalait la présence de Coubertin à Yale « en vue, précisait le journal, de se familiariser avec l’organisation de l’athlétisme dans les collèges américains et d’en tirer les moyens d’y intéresser les étudiants français ». Lors de ses visites il formera des liens étroits avec A.D. White, président fondateur de Cornell-University, D.C. Gilman, président de Johns Hopkins University, Ch.W. Eliot, président de Harvard et naturellement William M. Sloane qui, avec le Britannique Charles Herbert contribuera à la formule des Jeux Olympiques modernes.
Nationaliste…
Ainsi conforté dans sa conviction progressiste, déjà pressentie chez Arnold, que la pratique de l’exercice physique contribue à former des citoyens responsables, bien trempés et consciencieux en les encourageant à se prendre en main, il n’eût de cesse que d’en assurer les bienfaits à ses compatriotes.
« Le sport faisant appel à la contrainte sur soi-même, au sang-froid, à l’observation [...] relève de la psychologie autant que de la physiologie et peut réagir sur l’entendement, le caractère et la conscience. Il est donc un agent de perfectionnement moral et social. »
Car au départ, il entend fournir à la France des citoyens dignes d’elle, capables de la défendre – et de laver l’infamie de 1870. Au niveau national il faut composer avec Paschal Grousset, à qui tout l’oppose, des opinions politiques à la conception de l’éducation physique. Philippe Tissier n’est pas moins prévenu contre la compétition mais, médecin hygiéniste, il reconnait l’urgence de faire entrer le sport à l’école.
Quand l’effort pédagogique s’avérera futile, en bon champion de tir, il changera son fusil d’épaule et se tournera vers l’organisation de la compétition sportive à tous les niveaux « Parce qu’en France l’émulation venue du dehors est la seule qui agisse de façon efficace et durable ».
Mais aussi internationaliste
Il existait certes déjà quelques rencontres sportives, joutes populaires ou plus ambitieuses « olympiades ». Les Jeux du Rondeau en Dauphiné couronnèrent par trois fois le Père Henri Didon, l’allié de Coubertin pour des rencontres sportives entre écoles libres et écoles Laïques et auteur d’une devise -- « Citius, Altius, Fortius » (Plus vite, plus haut, plus fort) -- promise au plus bel avenir.
Mais pour tout l’amour qu’il lui porte, Pierre de Coubertin n’est pas homme à borner son inspiration aux frontières de son pays. Il n’ignore pas les Jeux olympiques organisés en Scanie (à Ramlosa Suède) ni les jeux olympiques des frères Zappas à Athènes en 1859 et il était impossible qu’il n’eût pas de contacts avec un pionnier anglais, le Docteur William Penny Brookes dont les "Meetings of the Olympian Class" se tenaient à Much Wenlock, dans le Shropshire.
Les bienfaits du sport tant au niveau de la santé physique que morale, ses vertus individuelles autant que sociales n’étant plus à démontrer, restait à les exploiter pleinement et à en assurer la vulgarisation. Il n’est pas jusqu’à un certain Philippe Daryl pour se rendre dans le journal Le Temps à l’évidente nécessité de « Jeux olympiques » - mais, se cramponne ce Monsieur Daryl, alias Paschal Grousset « les nôtres », bien de chez nous. Ce sera avec ses correspondants étrangers et notoirement grâce aux nombreuses introductions de William Brookes et à ses contacts avec le gouvernement grec que Coubertin pourra faire avancer, non sans peine, son grand projet.
Du franc jeu au fair play
Le franc jeu était déjà au cœur des tournois d’antan et correspondait à un idéal chevaleresque dont les mentalités restaient pénétrées. La savate un sport martial on ne peut plus français le décrit ainsi :
Quand « il s'agit d'appliquer des règles qui apprennent le respect de l'homme dans la confrontation [, l’] esprit sportif, voire chevaleresque, qui impose le franc-jeu, n'est pas seulement une obligation de loyauté mais une preuve d'intelligence et d'application d'un code d'honneur.
L'honneur n'est pas synonyme de victoire comme on veut trop souvent le croire. C'est au contraire la dignité morale qui exige une vraie humilité intérieure. [… tout sport] apprend à se dépasser mais dévoile avant tout sans cesse quelles sont les limites de chacun et oblige à se remettre sans cesse en cause. »
Ces dispositions correspondent pleinement à ce que Coubertin et ses collaborateurs ambitionnent en complément au développement harmonieux du corps.
Idéal olympique
“ il faut que tous les quatre ans les Jeux Olympiques restaurés donnent à la jeunesse universelle l’occasion d ’une rencontre heureuse et fraternelle dans laquelle s’effacera peu à peu cette ignorance où vivent les peuples de ce qui les concerne les uns les autres : ignorance qui entretient les haines, accumule les malentendus et précipite les évènements dans le sens barbare d’une lutte sans merci”.
Ainsi écrivait Coubertin dès 1894. Voilà que l’amour du sport faisait ses preuves sur son propre champion. Entrepris dans un esprit nationaliste de revanche l’effort de réforme sportive de Pierre de coubertin aboutira à un projet universel. Le sport comme éveilleur des consciences, comme expression de nobles aspirations, aura exigé des peuples plus de coopération que de rivalité. La mise en place de jeux olympiques modernes est peut-être la première initiative à avoir, dès ses débuts, conjugué des efforts internationaux. (Il n’est pas jusqu’à l’Allemagne ennemie qui n’y contribua, étant déterminante en matière d'archéologie sur le site d'Olympie et en devenant, très tôt, favorable à la rénovation des Jeux olympiques).
Cette bataille gagnée (en dépit de la conflagration mondiale de 14-18), Coubertin se battra pour plus de justice sociale en compétition, allant jusqu’à justifier des financements pour permettre aux plus humbles de s’entrainer dans des conditions comparables à celles des classes privilégiées. Ses nombreux écrits montrent que toute sa vie Coubertin aura su réviser ses opinions et les adapter aux conditions ambiantes, se montrant en cela plus pragmatique et moins dogmatique que nombre de ses successeurs.
20 ans plus tôt une première institution internationale, Le Comité international de la croix rouge avait été créée pour pallier aux ravages de la guerre ; cette deuxième institution internationale mettra dans le sport ses espoirs d’une meilleure compréhension entre les peuples.
« Je souhaite mettre le sport au service du développement harmonieux de l'humanité et contribuer à l'établissement d'un monde pacifique. »
Pierre de Coubertin
Les Jeux olympiques de 1924 furent les derniers sous la Présidence de Coubertin et se déroulèrent en son honneur à Paris.
Le film Les Chariots de feu [1] y a son point culminant et ne dément en rien les espoirs de Coubertin.
Hymne olympique
Les citations de Coubertin sont tirées du livre de Jean Durry, Le Vrai Pierre de Coubertin
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[1] Eric Liddell (1902 - 1945) et Harold Abrahams (1899 - 1978) étaient les deux protagonistes du film « Chariots de feu », et du livre sur lequel il a été base.
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