une rencontre improbable
L'article suivant a été redigé à notre intention par Régis Pluchet, journaliste retraité. Mr. Pluchet est l'arrière-arrière-petit-neveu d’André Michaux, dont le parcours historique et passionnant aux États-Unis est exposé dans ces lignes.
Andre Michaux est né en 1746 dans la ferme de Satory (située à la sortie sud de la commune de Versailles), dans le Grand Parc du roi (Louis XV à l’époque).
En 1779 il a obtenu un titre de botaniste voyageur attaché au jardin royal des plantes (l’actuel Museum national d’histoire naturelle). Le succès d’un voyage en Perse (1782-1785), lui a valu à son retour d’être nommé botaniste du roi (Louis XVI désormais) et envoyé aux États-Unis.[1]
Comme André Michaux, Régis est né à Versailles où il a passé toute sa jeunesse jusqu'à l'âge de 25 ans environ. En 1977, Régis est devenu cofondateur du magazine mensuel L'Im-Patient (le journal des « patients »), devenu ensuite Alternative Santé où il a travaillé jusqu'à sa retraite en 2011. Après vingt années en Poitou, il vit depuis vingt-deux ans près du Mans.
En 2014, Régis a publié le livre : « L'extraordinaire voyage d'un botaniste en Perse - André Michaux (1782-1785) ». Régis prépare un second livre sur ses voyages aux États-Unis.
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1ère partie : à la recherche de la route du Pacifique.
La rencontre de Thomas Jefferson, célèbre comme troisième président des États-Unis et comme corédacteur de la Déclaration d'Indépendance américaine, avec André Michaux (1746-1802), un modeste botaniste, aujourd'hui très peu connu, peut paraître étonnante quand on la voit de loin, 228 ans après. Mais elle étonne moins quand on découvre que ces deux hommes sont fort représentatifs de l'époque des Lumières, époque de passion pour la botanique, mais aussi époque des deux révolutions sœurs (mais fausses jumelles) : la Révolution américaine et la Révolution française, aux débuts de laquelle Jefferson a assisté à Paris, où il avait été envoyé comme ambassadeur.
« Étant donné que Andrew Michaux, Français résidant aux États-Unis, s’est engagé à explorer les contrées intérieures de l’Amérique du Nord, depuis le Mississippi, tout le long du Missouri et plus à l’ouest jusqu’à l’océan Pacifique ou dans toute autre direction qui lui sera indiquée par la Société philosophique américaine, puis à son retour à communiquer à cette société les informations qu’il aura acquises sur la géographie de ces contrées : habitants, sol, climat, animaux, végétaux, minéraux et autres sujets notables, Nous, les souscripteurs, désireux d’obtenir tout ce qui concerne le continent où nous vivons pour nous-mêmes et pour communiquer ainsi au monde des informations intéressant la curiosité, la science et ouvrant des perspectives futures à l’humanité, nous promettons (...) que nous paierons au susdit Andrew Michaux les sommes ici indiquées à côté de chacun de nos noms (…) » En rédigeant et lançant cette souscription le 22 janvier 1793, Thomas Jefferson, alors Secrétaire d’État du président George Washington, est persuadé qu’avec Michaux, il a l’homme idéal pour l’exploration à laquelle il songe depuis longtemps : trouver la route du Pacifique.
Il s’adresse pour cela à un modeste botaniste français et pourtant un explorateur hors du commun : André Michaux. Tout juste revenu d’un périlleux voyage en Perse, cet ancien laboureur, alors âgé de 39 ans, est envoyé aux États-Unis à la fin de l’année 1785 par le roi Louis XVI, Michaux avait pour mission principale de récolter des quantités importantes de graines et plants d’arbres et de les envoyer en France pour qu’ils y soient replantés afin de pallier au déboisement grandissant du pays et avec pour mission secondaire l’étude plus générale de la flore nord-américaine. Dès son arrivée, Michaux avait créé deux jardins botaniques, l’un près de New York et, un an plus tard, un second près de Charleston. Ces deux jardins servaient de dépôt des plantes avant leur envoi en France et aussi de jardin d’acclimatation où Michaux mettait en culture une partie des plantes récoltées au cours de ses voyages : il observait ainsi quelles étaient les meilleures conditions pour leur développement, afin d’en communiquer les résultats au gouvernement français. Depuis Charleston qui était sa base, Michaux alternait ses travaux de culture avec les voyages. Il avait une prédilection pour les Blue Ridge Mountains (dans les deux Carolines) où il était allé plusieurs fois et où il avait découvert de très nombreuses plantes jamais décrites, dont la très jolie Oconee Bell à qui a été consacrée une magnifique chanson blue grass : Acony Bell (http://crowhillalmanac.blogspot.com/2013/02/oconee-bell.html), tandis que dans son passionnant roman One Foot in Eden (Un pied au paradis), Ron Rash emmène ses lecteurs sur les lieux de cette découverte avant leur engloutissement par les eaux du lac Jocassee (lac de barrage) en 1973.
Dans les Wilderness
Doué d’une immense endurance, Michaux avait parcouru des milliers de kilomètres, franchi de multiples obstacles par tous les temps, souvent au péril de sa vie, dans des « wilderness » (contree sauvage), ces régions encore à peine connues, couvertes de forêts et landes désertes, parcourues uniquement par les Indiens et les animaux sauvages, rencontrant parfois quelques pionniers venant de s’installer sur de nouveaux territoires. Il avait ainsi accumulé de multiples observations botaniques, aux différentes latitudes et longitudes et aux différentes saisons. Michaux était juste de retour d’une audacieuse expédition de six mois et près de 4000 km (2000 km aller, 2000 km retour) de six mois. Parti de New York, début juin, il s’était rendu au Québec, à l’embouchure du Saguenay dans le fleuve Saint Laurent. De là, guidé par un couple d’Indiens et un interprète métis, il s’était enfoncé dans le Grand Nord canadien sur près de 1000 km. Il était allé au-delà du lac Mistassini, d’où il espérait atteindre la baie d’Hudson. Les premières neiges de la fin août l’avaient obligé à faire demi-tour, quelques jours avant d’atteindre la baie, mais il n’avait pas manqué de multiplier les observations botaniques et géologiques. À son retour, il s’était rendu, début décembre, à Philadelphie, rencontrer quelques-uns des principaux membres de la prestigieuse American Philosophical Society (Société philosophique américaine), à qui il avait déjà rendu visite au printemps avant de gagner le Canada.
« J’ai causé avec des Canadiens qui ont vu les sources du Mississippi. Mais celle du Missouri n’est pas encore connue, quoique plusieurs aient été au-delà des Montagnes brillantes [Montagnes rocheuses] », écrit André Michaux à son fils François peu après son arrivée dans la capitale. Et il ajoute : « Je suis bien content d’avoir visité ces contrées mais je n’ai nulle envie de recommencer un semblable voyage. Je préfère parcourir les épaisses forêts du Mississippi ou les plaines immenses situées sur le Missouri que d’aller dans un pays hérissé de rochers où l’on ne voit que quelques pins et où l’on ne rencontre le plus souvent que des ours, des castors et des lynx ». Il songe déjà à un nouveau voyage et à aller en Louisiane (alors sous domination espagnole), au-delà du Mississippi, à la recherche des sources du Missouri. Mais, manquant de ressources et ne pouvant plus obtenir d’argent de la France, où l’administration est en pleine réorganisation, depuis la proclamation de la République au mois de septembre, il demande l’aide de la Société philosophique.
Le récit que leur fait Michaux de son voyage au Canada et ce qu’ils connaissent déjà de ses précédentes expéditions fascine ses interlocuteurs et c’est avec enthousiasme qu’ils accueillent sa demande. Jefferson, qui est l’un des membres de la Société, prend l’affaire en main. Il rencontre Michaux à la fin du mois de décembre 1792. Le 2 janvier 1793, il écrit au Dr Barton, l’un des interlocuteurs de Michaux, qu’au cours de ses discussions avec ce dernier, il lui a fait savoir qu’une délégation d’Indiens Illinois, menée par Jean-Baptiste Ducoigne, un métis chef du village indien de Kaskaskia sur les bords du Mississippi, était à Philadelphie pour négocier un traité de paix. Ducoigne avait servi sous Lafayette pendant la guerre d’Indépendance et avait alors rencontré Jefferson. Celui-ci pense que lorsque ces négociations seront terminées, Michaux pourra repartir avec les Indiens et gagner les rives du Mississippi dans les meilleures conditions. Il prie donc le Dr Barton d’organiser une réunion commune entre eux deux et avec Michaux et Ducoigne.
Le 20 janvier 1793, Michaux remet à Jefferson une note dans laquelle il présente les conditions auxquelles il acceptera de faire ce voyage, dont il pense qu’il pourra durer deux ans. Il insiste sur l’indépendance qu’il veut garder et ne sollicite pas un financement de son voyage, mais seulement un prêt. Deux jours plus tard, Jefferson lance la souscription, en communiquant le plan du voyage qu’il a rédigé (cité au début de cet article), l’adressant en tout premier lieu à Washington. Le président qui connaît Michaux, venu déjeuner chez lui en 1786, muni d’une lettre de recommandation du général Lafayette, lui répond aussitôt : « Rien ne me semble aussi nécessaire que d’être associé à ce projet. Si la souscription n’est pas réservée aux membres de la Société Philosophique, j’ajouterais volontiers ma part comme moyen d’encourager l’entreprise de M. Michaux. » Avec 100 dollars, la somme la plus élevée, « une somme énorme pour l’époque », note aujourd’hui la Société philosophique, la signature du Président venait en tête des signatures de 75 souscripteurs dont, fait unique, les signatures de ses trois successeurs immédiats à la Présidence (John Adams, Thomas Jefferson, James Madison), ainsi que celles de trois de ses ministres. C’est dire l’immense pouvoir de séduction que le modeste botaniste a su exercer sur eux.
John Adams * |
Thomas Jefferson * | James Madison |
Le 23 avril après une réunion de la Société philosophique à ce sujet, Jefferson adresse à Michaux des instructions qui reprennent de manière plus détaillée le plan tracé en janvier. Le 30 avril, Michaux lui envoie une seconde note dans laquelle il insiste à nouveau sur le fait qu’il tient à son indépendance, afin de rester en premier lieu au service de son pays, et rappelle qu’il n’accepte pas d’argent d’avance, mais acceptera toute récompense dont il sera jugé digne à son retour. Malgré ces réserves, tout est prêt. Mais, au dernier moment, un évènement inattendu va bouleverser ces plans, comme nous le verrons dans la 2ème partie de cette histoire.
* Outre le fait qu’ils ont Adams et Jefferson ont été présidents des États-Unis, ils sont également parmi les cinquante-six signataires de la Déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776, connue sous le nom de Déclaration unanime des treize États-Unis d’Amérique. Ils partagent également la même date de décès : le 4 juillet 1826, soit 50 ans jour pour jour après la signature du document.
MISE À JOUR : Voici les liens à la seconde partie et la troisième partie pour ceux de nos lecteurs qui voudraient la lire comme suite du texte ci-dessus .
[1] En 1785, André Michaux est revenu de Perse en rapportant non seulement des plantes, mais aussi une pièce archéologique majeure, surnommée le caillou Michaux (Michaux stone)
Voir : "Le Caillou Michaux" et l'écriture cunéiforme, André Michaux
Régis Pluchet :
L’extraordinaire voyage d’un botaniste en Perse – André Michaux (1782-1785),
éditions Privat, France, 2014.
C. Williams, E. Norman, W. Taylor : André Michaux in North America, Journal and Letters (1785-1797), University Press of Alabama.
The Forgotten French Scientist Who Courted Thomas Jefferson—and Got Pulled into Scandal
Smithsonian Magazine
Wonderful article
Merci Regis
Marie Laure Arnaud
Présidente. « Friends Andre Michaux Charleston Garden
Posted by: Marie Laure Arnaud | 08/08/2021 at 08:19 AM
Formidable. C'est une histoire forte interessante et si bien exprimee.
Posted by: eliane norman | 08/08/2021 at 12:33 PM