Les liens qui nous unissent au passé et la volonté de faire ce qui est juste.
L'article qui suit a été rédigé par notre contributrice, Audrey Pouligny. Audrey est admise au Barreau de Paris et traduit de l’anglais vers le français en mettant au service de ses clients sa connaissance approfondie des systèmes juridiques en vigueur en France et aux États-Unis. Son site internet est : Quidlingualegal.com. Quand elle ne traduit pas, elle organise des groupes de discussion en anglais et en espagnol, à Angers, en France, dans les Pays de la Loire où elle réside.
En cette fin d’année, deux histoires rapportées dans la presse américaine nous invitent à la réflexion. La volonté de faire ce qui est juste en restituant ce à qui de droit demeure une valeur qui peut être partagée. La capacité de réveiller les liens qui nous unissent au passé peut, quant à elle, se révéler être une qualité prêtée en toute confiance à nos institutions.La première histoire illustre le rôle des bibliothèques municipales comme lieu de partage, d’échange et de mémoire. En Louisiane, les employés de la bibliothèque de Shreve Memorial se sont amusés, au mois d’octobre dernier, de la restitution d’un livre plus de 80 ans après sa date d’emprunt.
À l’occasion d’un grand rangement effectué en 2018 dans la maison de ses parents, un homme avait retrouvé un exemplaire du recueil de poèmes d’Edgar Lee Masters intitulé Spoon River Anthology. Une carte de bibliothèque y figurait, faisant état d’une date de restitution fixée au 14 avril 1934. L’homme en question, en déduisant que ce livre avait vraisemblablement été emprunté par sa propre mère, est retourné à la bibliothèque de Shreve Memorial afin de le restituer, honorant ainsi la mémoire de sa mère qui était une personne très juste et droite.
Quelle surprise pour les employés de la bibliothèque ! Ce recueil de poèmes écrits à la première personne met en scène les résidents défunts de la ville fictive de Spoon River, s’interrogeant et réfléchissant sur leur vie et leur mort. Une ambiance plutôt sinistre, très à propos pour les fêtes d’Halloween.
La morale de l’histoire ? Il n’est jamais trop tard pour restituer ses livres. C’est ce que la bibliothèque de Shreve Memorial espère transmettre au plus grand nombre, en levant symboliquement la pénalité de retard qui aurait dû s’appliquer.
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La deuxième histoire, ou plutôt saga jalonnée de plusieurs rebondissements, illustre la fragilité des liens qui nous unissent au passé, ainsi que le rôle et la confiance placée dans les bureaux de poste qui peuvent agir comme gardien de ces liens.
En avril 2015, une employée de poste d’une petite ville minière de l’État du Michigan aux États-Unis, a vu son quotidien bousculé par l’arrivée d’une mystérieuse enveloppe contenant elle-même une autre enveloppe dont le contenu allait la propulser dans un voyage dans le temps. Cent cinquante ans d’histoire sont venus retentir aux oreilles de cette employée des postes. En pleine guerre de sécession aux États-Unis, un jeune soldat avait témoigné au travers de plusieurs lettres de son expérience, entre anecdotes, solitude, admiration devant les symboles de l’Amérique toute-puissante, le tout pris dans le décor des affres de la guerre la plus sanglante de l’histoire américaine.
Il s’en faudra presque deux années, le concours d’un fin limier spécialiste de la guerre civile, pour tenter de résoudre cette énigme. Le pli présentait en effet du fil à retordre. Trois écritures manuscrites différentes à analyser, rendant compte des réalités de la guerre où les soldats s’entraidaient, entre dictées et prises de notes, dans l’espoir de communiquer avec leurs familles, sans oser nommer l’espoir possible du retour.
Une analyse poussée n’a toutefois pas permis de résoudre l’énigme de cette étrange expédition. Il aura fallu le concours de la Smithsonian Institution et des fidèles lecteurs de son magazine, afin de dévoiler l’identité de son expéditeur, ou plutôt de son expéditrice : la veuve d’un assidu collectionneur d’antiquités. Une Texane de 78 ans, bien des années après le décès de son mari, avait décidé de s’attaquer à l’ambitieuse tâche de faire sens du butin amassé au fil des ans par son époux, féru d’antiquités et d’articles témoignant des mystères du passé. Elle s’est laissée surprendre par ces mystérieuses lettres, le témoignage de ce soldat et l’émotion s’en dégageant. C’est ainsi qu’elle s’est fixée comme mission de restituer les lettres à qui leur revenait de droit, à savoir les descendants du défunt soldat.
Pourquoi les envoyer au bureau de poste du lieu de résidence présumée de ses descendants ? En raison de la confiance accordée aux bureaux de poste des petites villes qui connaissent mieux que quiconque leur communauté. Elle ne s’était pas trompée. À défaut de connaître le lieu de résidence des descendants du soldat, notre employée des postes a effectivement remué ciel et terre pour que les lettres puissent être restituées à qui de droit, renouant ainsi les liens qui nous unissent au passé et en transmettant l’écho des sacrifices individuels connus par tant d’hommes et de femmes pour une nation. De quoi donner matière à réflexion en cette période de fêtes de fin d’année.
Si ces histoires ont avivé votre curiosité, les publications correspondantes dans la presse américaine peuvent être consultées en cliquant sur les liens suivants :
84 years ago, a woman borrowed a book from the library. This week, her son returned it
CNN, October 6, 2018
A letter from the past arrives 150 years after it was written
History 101, 21.11.2018
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