par Rita Howard
L'article qui suit a paru dans la revue The Corinthian, publiée par le Georgia College & State University en 2007. Nous le republions avec l'authorisation de l'édition.
Le XVIIIe siècle est avant tout l’Age de la raison marque par un mouvement intellectuel réformateur en Europe a la recherche du bonheur. C'est le siècle des Lumières et de l'Encyclopédie. Les philosophes s'unissent pour libérer le public des traditions, superstitions et des idées médiévales fausses. Ils défendent entre autres la liberté, la raison, la tolérance, la justice, l’égalité, le progrès, et dénoncent les abus de pouvoir. C'est le siècle de la critique religieuse, sociale et politique avec Voltaire et Rousseau qui contestent la société de privilégies issus du Moyen Age. Même si Voltaire et Rousseau sont considères comme des philosophes du Siècle des Lumières, leurs styles et leurs points de vue sont différents sur presque tous les sujets.
Jean-Jacques Rousseau utilise la sensibilité pour comprendre le monde ; sa pensée philosophique est profonde et originale. II est réservé, inquiet, paranoïaque et a du mal à se fier aux individus. Son ennemi, Voltaire (François-Marie-Arouet) est enthousiaste et gai. II choisit l'ironie et le sarcasme pour s'exprimer dans ses débats littéraires, c'est un homme d'action sur tous les sujets. II écrit dans tous les genres littéraires pour sa notoriété. Ses pensées sont légères et brillantes et ses critiques sont superficielles. « Ses vues fines et amusantes sont généralement dépourvues de profondeur. » (Rommeru).
Dans la plupart de ses travaux, Voltaire plaide en faveur de la tolérance et du droit de l'individu à s'exprimer. II admire dans ses Lettres philosophiques (1734) le droit personnel et religieux et le modèle de liberté qu'il trouve en Angleterre par comparaison aux institutions et aux pensées françaises. Rousseau ne cherche pas à reformer le gouvernement comme Voltaire, mais il préfère la démocratie a toutes les formes de gouvernement.
Voltaire critique l'Église et les chrétiens, et désapprouve !'intolérance, !'oppression et l'hypocrisie de la Bible et de l'Église vis-à-vis des autres religions. Voltaire est déiste. II croit que Dieu existe pour créer un monde complexe et pour contrôler les morales, mais il est contre le Dieu incarne du christianisme et ses représentants et contre l'athéisme des philosophes. Rousseau, qui a embrassé plusieurs religions, croit en la religion naturelle fondée sur le sentiment intérieur et non « sur les rituels religieux qui lui paraissent ridicules et coupes de toute signification ».
En ce qui concerne la société, pour Voltaire, les citoyens devraient passer leur temps et consacrer leur énergie à perfectionner la société dans laquelle ils sont places au lieu de chercher une société parfaite qui n'existe pas. Pour Rousseau, les humains sont nés bons, mais ils sont lentement corrompus par la société. La nature doit guider la race humaine ; plus les gens se séparent de la civilisation et plus ils se rapprochent des bienfaits de la nature. Ce point de vue est directement influencé par sa solitude et sa séclusion pendant son enfance. Il étend d'ailleurs le rôle de la nature a !'éducation des enfants et aux remèdes positifs de !'éducation des enfants dans La Nouvelle Héloïse, dans Émile, et dans Le Contrat Social. Rousseau est un des premiers individus à créer une forme d'éducation complète et cohérente.
Ces deux philosophes connaissent la censure, l'exil et !'humiliation Toutefois, ils partagent une hostilité profonde l'un envers l'autre liée a leur enfance, à leur éducation, aux leurs milieux sociaux et à leur gloire. Voltaire est ne à Paris en 1694 ; fils de notaire, il vit dans un milieu aise. Tôt dans sa vie il développe un gout pour la haute société et il est connu pour son esprit. Il étudie à « Louis-le-Grand », un lycée jésuite à Paris. Il débute dans les lettres à vingt-deux ans, quand sa pièce de théâtre Œdipe (1718) connait un succès éclatant. Accepte et aime de ses amis aristocrates, sa franchise lui crée des problèmes et il passe onze mois en prison et plus tard trois ans en exil en Angleterre. Il est impressionné par les idées et la philosophie des Anglais et il en vante les libertés religieuses et politiques dans Les Lettres philosophiques (1734). Les autorités françaises condamnent l'ouvrage et le forcent à se réfugier en Lorraine. 11 ne cesse d'écrire : Traite de métaphysique (1735), le poème Le Mondain (1736), Discours sur l'homme (1738). 11 repart en exil en Prusse et en Suisse. 11 retournera plus tard a Paris comme héros juste avant sa mort après la publication de ses nombreux ouvrages tels que Zadig (1747), Micromégas (1752), Candide (1759), Le Traite sur la tolérance (1763), Le Dictionnaire philosophique (1764), et L'Ingénu (1767).
L'éducation et la personnalité de Rousseau ne sont plus différentes de celles de Voltaire. Né à Genève en 1712, sa mère meurt à sa naissance. Enfant du peuple et autodidacte, il est élevé jusqu'à l’âge de 8 ans par son père horloger qui est force de se sauver de sa ville natale après avoir blessé un Genevois a l'épée. II est alors laisse aux soins d'un pasteur et puis de son oncle. Protestant, il se convertit au catholicisme sous !'influence de sa protectrice, Mme de Warens. À ses cotes, il apprend à connaitre le beau monde, la musique et se cultive. II quitte Genève pendant des années, voyageur et vagabond, il mène une vie isolée, changeant de professions et de styles de vie. Son ami, Denis Diderot, emprisonne à Vincennes pour sa Lettre sur les aveugles, le persuade de participer au concours d'essais organisé par l'Académie de Dijon ou il remporte en 1750 le premier prix avec son Discours sur les sciences et les arts et devient célèbre. II s'oppose à son siècle, condamne la société, la vie mondaine, le luxe et laisse entendre que le progrès depuis tous les temps s'accompagne d'une décadence morale. II se singularise par rapport à Voltaire et aux autres philosophes qui font l'éloge du Siècle des Lumières et de ses espoirs d'une société progressiste et d'une meilleure vie.
En 1755, Voltaire et Rousseau vivent à Genève ou la parution du Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité divise les Genevois. Voltaire ne manque pas d'adresser ses critiques à Rousseau en le ridiculisant et en l'humiliant.
Voltaire réalise qu'il a un dangereux rival qu'il doit discréditer, car il se sent menace par le génie intellectuel de son adversaire. En 1756, les rapports entre les deux hommes se détériorent à la suite du Poème sur la loi naturelle (1756) et du Poème sur le désastre de Lisbonne (1756) de Voltaire. Voltaire est ébranlé par une catastrophe a laquelle il ne peut pas donner de sens. Rousseau est choque par le côté désespéré du poème et ne ménage pas Voltaire. La querelle des deux hommes arrive à un point de non-retour avec La Lettre à d'Alembert sur les spectacles de Rousseau en 1758 qui montre son hostilité a l'égard d'un théâtre non-populaire à Genève, réservé a une
société corrompue par le luxe. Voltaire se sent personnellement attaque au moment où il donne des représentations théâtrales dans sa propriété en Suisse. Rousseau retourne en France, où il connait un grand succès avec La Nouvelle Héloïse en 1761. II choque à nouveau avec Le Contrat Social (1762) et surtout L’Emile (1762), ouvrages qui s'appuient sur la démocratie et !'éducation moderne. L'Emile est banni par le Parlement de Paris, l'Église catholique et le Consistoire de Genève. Rousseau repart en Suisse avant de
s'exiler en Angleterre pendant de longues années. II continue à faire l'objet de critiques et se sent persécuté. II se justifie dans Les Confessions. II écrit son dernier livre Les Rêveries d 'un promeneur solitaire en 1778, année de sa mort.
Voltaire et Rousseau sont parmi les figures les plus influentes de leur époque. La plupart des contes de Voltaire comme Candide sont encore lus aujourd'hui dans les établissements scolaires. La philosophie de Voltaire sur la tolérance religieuse reste d'actualité. Les idées révolutionnaires de Rousseau demeurent une inspiration. Un des fondateurs de la démocratie, et inventeur des méthodes de pédagogie modernes, Rousseau continue de laisser sa marque dans nos sociétés.
BIBLIOGRAPHIE
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Bremond, J., ed. "Dictionnaire de la Pensée Politique: Hommes et idées. "
Hatier : Paris, 1989.
Cros, Nathalie. Voltaire et Rousseau. <http://www.alalettre.com>.
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Leggewie, Robert. "Voltaire (1694-1778)." Anthologie de la littérature française. Oxford : Oxford UP, 1990.
Rommeru, Claude. "Voltaire contre Rousseau". Extraits de la Nature a l'Histoire. <http://www.sweet.ua.pt./%7Efmart/index.html?dossv>.
Texte, Joseph. Jean-Jacques Rousseau and the Cosmopolitan Spirit in Literature. New York: G.E Stechert. & Co., 1929.
Torrey, Norman L. The Spirit of Voltaire. New York: Morningside Heights, 1938.
Lectures suppleméntaires :
Voltaire contre Rousseau,
Le Point, mai-juin 2012, hors-série
Voltaire et Rousseau : la haine Broché – Illustré, 18 novembre 2021 Philippe Cassasus |
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