3ème partie : Un héritage considérable
L'article suivant a été redigé a notre intention par Régis Pluchet, journaliste retraité. Mr. Pluchet est l'arrière-arrière-petit-neveu d’André Michaux, dont le parcours historique et passionant est raconté dans ces lignes.
Nous avons vu, dans les parties 1 et 2 de cette histoire, comment, pendant l’année 1793, André Michaux (1746-1802) a été en contact, direct ou indirect, avec Thomas Jefferson. Outre quelques indications sur sa jeunesse et sa formation, nous allons voir comment ce botaniste, insuffisamment connu, nous a laissé un riche héritage, transmis par son fils.
En 1829, François-André Michaux a offert le journal manuscrit du voyage de son père à la Société philosophique américaine. Très vite, plusieurs botanistes américains ou canadiens sont venus l’étudier sur place à Philadelphie, notamment le Dr Asa Gray. Connu pour avoir amélioré les connaissances et la classification des plantes américaines, Gray, qui préparait son Manual of Botany of the Northern United States, est venu à Paris, en 1839, étudier au Museum national d’histoire naturelle les plantes américaines de l’herbier d’André Michaux père.
Il s’est particulièrement intéressé aux spécimens de cet herbier qui n’étaient pas mentionnés dans la Flora boreali-americana de Michaux, qui avait pourtant décrit près de 2000 plantes dont plusieurs centaines de nouvelles espèces. C’est ainsi qu’il découvrit une plante alors
inconnue qui l’a beaucoup intrigué, l’Oconee bell, (voir l'explication dans la première partie, ici) dont j’ai parlé dans la première partie de cette histoire. Gray, devenu l’un des meilleurs amis de Michaux fils, la baptisera Shortia galacifolia et se lancera dans une quête de plusieurs décennies avant de trouver le lieu André Michaux l’avait récoltée.
Devenu un spécialiste renommé en botanique forestière et en sylviculture, François-André est mort en 1855. Il a laissé en héritage à la Société philosophique américaine la plus grande partie de sa fortune, qui a servi à la création du Michaux Fund et à la plantation du Quercetum Michaux, un arboretum de chênes, au sein du Morris arboretum à Philadelphie, ainsi qu’au financement d’une série de conférences sur la conservation des forêts. Ces conférences contribuèrent à la création de la Michaux State Forest, protégeant ainsi une forêt menacée de destruction dans la Grande Vallée des Appalaches, en Pennsylvanie.
En 1889, une transcription en français du Journal de voyage d’André Michaux a été publiée dans les Proceedings of the American Philosophical Society. Alors que la situation des États-Unis avait considérablement changé depuis son séjour, cette publication dans une revue certes spécialisée, mais bénéficiant d’une audience internationale, eut une portée considérable qui contribua à de nombreuses recherches et publications, en botanique et en histoire. Bien que certaines parties aient préalablement été traduites en anglais, ce n’est qu’en 2020 qu’une version complète du journal a été publiée en anglais, avec de nombreux extraits de sa correspondance et de passionnants commentaires, de très belles photos, des notes et index très détaillés, sous le titre : André Michaux, in North America – Journals and Letters 1785-1797 (University of Alabama Press).
Par ses envois en France, André Michaux a contribué à l’introduction en France de nombreux arbres, parfois déjà connus, mais encore peu utilisés et qui sont maintenant assez répandus dans les parcs et jardins, ou dans les villes comme les tulipiers de Virginie, cyprès chauves, noyers noirs, virgilier, rhododendron pourpre, ou les magnolias à grandes feuilles et même parfois dans les forêts comme les chênes rouges. Il a contribué à l’introduction aux États-Unis d’arbres exotiques comme l’albizia julibrissin ou arbre à soie, le gingko biloba, le camélia du Japon, sans oublier le camélia de Chine, autrement dit le thé. La seule plantation de thé qui existe actuellement aux États-Unis, est le Charleston Tea Garden.
Ses planches d’herbiers sont conservées principalement au Muséum d’histoire naturelle à Paris, mais on en trouve aussi à Genève, Londres et aux États-Unis. Une correspondance abondante est conservée à Paris aux Archives nationales à Paris et au Museum national d’histoire naturelle, à la bibliothèque municipale de Versailles et dans divers dépôts d’archives, en France et aux États-Unis.
Son nom a été donné au Québec à l’île Michaux qui se trouve dans le lac Mistassini et à la Réserve écologique André Michaux, à Gatineau. Aux États-Unis, il a été donné à la Michaux State Forest, près de Fayetteville en Pennsylvanie et au Michaux Conservancy (Conservatoire naturel Michaux) à Charleston. Des panneaux historiques signalent son passage dans une dizaines de sites en Caroline du Nord et du Sud, ainsi que dans le Tennessee. Au moins six musées et jardins botaniques font référence à ses voyages et ses découvertes : Brevard station Museum, Stanley NC - Tipton-Haynes Historical Site, Johnson City (TN) - Grandfather Mountain Nature Museum, Linville (NC) - Highlands Biological Station, Highlands (NC) - Swannanoa Valley Museum, Black Mountain (NC), UNC Botanical gardens, Charlotte (NC) - South Carolina Botanical Garden, Clemson (SC).
Deux associations entretiennent sa mémoire. The André Michaux International Society (www.michaux.org). Cette association a été créée suite aux cinq jours de la Michaux Celebration, à l’occasion du bicentenaire du décès du botaniste. Cette célébration qui mêlait des activités grand public et un colloque scientifique, pendant lequel intervinrent 25 chercheurs de plusieurs disciplines. Elle est à l’origine de plusieurs publications scientifiques concernant André Michaux dans les années qui ont suivi.
The Friends of André Michaux Charleston Garden (https://friendsofandremichaux.wordpress.com) qui espèrent un jour que ce qui reste de son jardin de Charleston (près de l’aéroport de North Charleston) puisse être réhabilité. Cette association a organisé une journée pour célébrer Michaux en avril 2014, où j’étais invité d’honneur. Elle est à l’origine d’une magnifique fresque murale, dédiée à Michaux et à son jardin. Peinte par l’artiste Karl B. Smith, elle accueille les voyageurs à l’aéroport de North Charleston.
Juste après cette fête, Charlie Williams et Eliane Norman, de l’André Michaux International Society m’ont guidé pendant plusieurs jours dans les Blue Ridges en Caroline du Nord, dans les pas d’André Michaux et j’ai été reçu très chaleureusement dans plusieurs des sites mentionnés ci-dessus.
Si dans quelques villes françaises, des rues portent son nom, les habitants de ces villes ignorent tout de Michaux et Versailles sa ville natale, où il a vécu et cultivé la terre jusqu’à l’âge de 30 ans, ne lui a dédié aucune rue, ni aucune plaque commémorative. Pourtant, en 1956, le CNRS organisait, en lien avec le Muséum national d’histoire naturelle, un colloque scientifique, sous le titre Les botanistes français en Amérique du Nord avant 1850. Ce colloque, décidé à l’occasion du centenaire du décès de François-André Michaux, soulignait le rôle charnière des deux Michaux dans les échanges botaniques entre les deux pays. Mais ce colloque fut ignoré du grand public ; Michaux père et fils retombèrent dans l’oubli, même si les botanistes les plus passionnés savent encore leur nom, sans bien savoir vraiment ce qu’ils ont fait.
En 2003, à la suite de la célébration Michaux l’année précédente aux États-Unis, un petit comité Michaux organisait une célébration dans le domaine du château de Rambouillet, là où se situait la pépinière qui accueillait la plupart des envois de Michaux. En 2004, une seconde célébration eut lieu à Rambouillet, en présence d’une délégation américaine, qui apporta de nombreux plants d’arbres. Mais ces deux évènements, auxquels j’ai personnellement participé n’eurent pas de suite. Et l’on peut dire qu’il est aujourd’hui quasi oublié dans son pays. Et c’est dommage, car il a sans doute beaucoup à nous apprendre aujourd’hui.
À l’heure où nous devons réinventer nos rapports avec la nature, on ne peut qu’être fasciné par cette plongée dans un monde sauvage aujourd’hui disparu et raconté par un homme modeste et d’une endurance incroyable, un Français qui tel ces fameux frontiersmen n’a de cesse de faire reculer les frontières de la connaissance qu’elles soient géographiques, scientifiques ou humaines. Aussi, je forme le vœu que Michaux soit mieux connu et que cette connaissance contribue par ailleurs à l’amitié entre la France et les États-Unis.
Jeunesse et formation d’André Michaux
André Michaux est né en 1746, à Versailles, dans la ferme de Satory l’une des fermes du domaine royal, à 3 km du château et de son parc. Ce domaine qui n'existe plus aujourd'hui incluait une trentaine de fermes et des terres appartenant à plusieurs villages. Ces fermes royales, étaient cultivées par des fermiers, locataires de quelques centaines d’hectares. Ils avaient l’obligation de laisser une partie de leurs cultures de céréales sans les moissonner, afin qu'elles puissent servir à nourrir le gibier, car à tout moment, le roi pouvait venir chasser sur ces terres et il fallait qu'il y ait toujours suffisamment de gibier.
Parmi ces fermiers, il y avait mes ancêtres Michaux et mes ancêtres Pluchet. Leurs fermes avaient environ 200 hectares, ce qui est important pour l’époque, mais peu par rapport aux domaines des grands planteurs que Michaux va rencontrer aux États-Unis. Les fermiers étaient des grands bourgeois qui pouvaient avoir 30 à 50 ouvriers et domestiques.
La ferme de Satory dont les bâtiments ont disparu au milieu du 19ème siècle était située à la sortie sud de la ville de Versailles, sur le plateau de Satory, qui comprenait alors une vaste zone de culture et de prairies d’élevage, plateau qui était séparé du parc du château par des forêts qui couvrent toujours les pentes menant au pied du parc. Michaux qui était l’aîné y a vécu toute sa jeunesse avec un frère, André-François, qui avait un an de moins que lui et trois sœurs plus jeunes. Il a dû recevoir une éducation élémentaire à la maison. À 10 ans, son père l’a envoyé avec son frère dans un pensionnat. Mais quatre ans plus tard, comme cela se faisait à l’époque dans ces familles de fermiers, ils sont revenus et son frère et lui ont été associés aux travaux de leur père. Son père est mort quand André Michaux avait vingt ans, et sa mère trois ans plus tard. André Michaux et son frère ont alors repris en semble la direction de la ferme pendant trois ans, puis seul pendant huit ans. Il s'était marié en 1769, mais un an plus tard sa femme est décédée peu après la naissance de leur fils François-André. Sur les conseils du principal médecin du roi qui était aussi un professeur de botanique réputé et l'a initié à cette discipline, Michaux a décidé de quitter sa ferme, reprise par son frère en 1777. Il est parti à Paris étudier au jardin royal des plantes (futur Muséum d’histoire naturelle), sans avoir fait des études de médecine au préalable, contrairement à la plupart des botanistes de l’époque. Il y a obtenu en 1779 un brevet de botaniste voyageur attaché au jardin royal des plantes et est parti en Perse de 1782 à 1785, traversant la Syrie et la Babylonie (l’Irak). Le succès de ce voyage lui a valu d’être envoyé aux États-Unis quelques semaines après son retour. En 1797, son frère quitte la ferme de Satory reprise par sa fille Geneviève Michaux et son gendre Vincent Pluchet, dont je suis l’un des descendants. Le couple s’installa quelques années plus tard, à quelques kilomètres de là, à Trappes, dans une ferme où mon père est le dernier Pluchet à y être né, en 1915.
Ferme du couple Pluchet/Michaux à Trappes |
Lecture supplémentaire :
The Forgotten French Scientist Who Courted Thomas Jefferson—and Got Pulled into Scandal
Smithsonian Magazine
(Illustration by Lucille Clerc |
La tombe de Michaux
La tombe présumée d’André Michaux a été retrouvée à Madagascar, à Isatrano à l’ouest de la ville de Tamatave (aujourd’hui Toamasina). Elle se trouve sur une colline qui domine le fleuve Ivondro, au milieu d’une grande palmeraie à huile, la palmeraie de l’Ivondro. Je forme le vœu qu’un jour une expédition scientifique aille enquêter sur place pour essayer de vérifier s’il s’agit bien de sa tombe ou non et quel que soit le résultat qu’elle commémore son dernier séjour en ces lieux.
Régis Pluchet