à l'occasion de l'anniversaire de sa mort, il y a quarante ans
Elle a publié des articles en français et en anglais dans de nombreuses revues littéraires universitaires et philosophiques (French Review, Stanford French Review, L’Esprit Créateur,
Le 30 août marque l’anniversaire de la mort de Jean Seberg à Paris, en 1979, à l’âge de 40 ans, d’un apparent suicide. Cette fin tragique achève le périple extraordinaire de cette actrice américaine dont le statut mythique n’a fait que grandir avec le temps. Icône de la « Nouvelle Vague » en France, et figure culte des années soixante, Seberg a inspiré et continue d’inspirer des deux côtés de l’Atlantique nombre d’hommages, documentaires, articles et biographies.
Un documentaire français, « Eternelle Jean Seberg », réalisé par Anne Andreu en 2013 [1], propose un portrait juste et émouvant de cette actrice lumineuse et fragile, à partir de magnifiques images d'archives, d’extraits de ses films et interviews, accompagnés de témoignages inédits de ses proches (son fils Alexandre Diego Gary, sa sœur Mary Ann Suey Seberg, le réalisateur Dennis Berry), et de ses partenaires au cinéma, dont Clint Eastwood.
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Alexandre Diego Gary avec ses parents |
A.D.G. |
En français (avec un léger accent américain) dans la plupart de ces interviews, Seberg parle de son enfance, de ses rôles, de ses convictions et aspirations. D’une beauté radieuse, l’actrice frappe aussi par son charme et son intelligence, par sa sensibilité et son honnêteté, et par l’évidente passion avec laquelle elle abordait tous les aspects de sa vie, tant artistique que sentimentale et politique.
C’est à Marshalltown, une petite ville de l’lowa, au milieu des Grandes Plaines, que Jean Seberg avait grandi, dans une famille de classe moyenne et de religion luthérienne. Ce milieu assez strict et conservateur n’entame en rien la précocité de la jeune fille, qui annonce très tôt son désir de devenir actrice : cette vocation, explique-t-elle, lui est apparue à l’âge de 12 ans en voyant un film de Marlon Brando (The Men, de Fred Zinnemann, 1950) à la télé.
Cette précocité se manifeste aussi dans d’autres aspects de sa vie: à l’âge de 14 ans, elle devient membre du NAACP (National Association for the Advancement of Colored People). Cet engagement politique lui vaudra plus tard bien des déboires, mais il reflète en elle une passion pour la justice qui restera constante dans sa vie.
A l’âge de 17 ans, toujours décidée à devenir actrice, elle passe une audition pour Otto Preminger, qui projette d’adapter au cinéma la pièce Saint Joan (Jeanne D’Arc, 1957) de George Bernard Shaw; séduit par son visage, Preminger la choisit parmi 18000 inconnues pour incarner le rôle. Mais ce film sera un échec et une grande épreuve pour Jean Seberg, qui était encore trop inexpérimentée pour un rôle aussi lourd, et qui était terrorisée chaque jour, raconte-t-elle, par le tyrannique Otto Preminger.
Non découragée toutefois, Seberg cherche à faire mieux, et Preminger lui donne une seconde chance avec le film Bonjour Tristesse, basé sur le roman de Françoise Sagan (1954), où elle assume le rôle quelque peu sulfureux de la jeune Cécile. En 1958, elle part donc pour la France où le film doit être dirigé par Preminger ; c’est pendant le tournage qu’elle rencontre l’acteur et réalisateur François Moreuil, qui devient son premier mari en 1958.
Le film est d’abord tièdement accueilli par la plupart des critiques, à l’exception d’un « jeune turc », François Truffaut, alors critique de cinéma, qui écrit sur elle un article des plus enthousiastes. Jean-Luc Godard à son tour s’intéresse alors à Seberg, et l’engage dans un film qu’elle trouve d’abord confus et incohérent : le fameux À Bout De Souffle (1960), film emblématique de cette « Nouvelle Vague » [2] qui a révolutionné les conventions du cinéma bourgeois « de papa ».
De toutes les images que Seberg a laissées dans les quelques 34 films [3] qu’elle a tournés en France et aux Etats-Unis, c’est sans doute dans ce film, où elle incarne le personnage de Patricia Franchini, jeune Américaine en pull marin et coupe garçonne, vendant le Herald Tribune sur les Champs Elysées, qu’elle laisse l’image la plus inoubliable. Sa fraicheur, sa vivacité, la pureté de son visage d’ange blond, apportent un piquant contrepoint au visage buriné et cynique du mauvais garçon (Michel) incarné par Jean-Paul Belmondo dans le film. A l’encontre de stars plus voluptueuses comme Marilyn Monroe, la grâce androgyne de Seberg définit ici un nouveau style, un nouveau chic qui symbolisent aussi un esprit de liberté, un désir de transgresser les genres, les conventions et les limites dont la séduction et la modernité n’ont pas faibli aujourd’hui.
C’est vers cette époque que Seberg rencontre le célèbre écrivain et diplomate Romain Gary, alors Consul Général de France à Los Angeles : il a 24 ans de plus qu’elle, mais c’est le coup de foudre. Cette rencontre, et l’histoire d’amour qui fera d’eux un couple mythique, ont fait l’objet depuis de maints récits et fictions, dont des romans de Romain Gary lui-même [4] et le récent Mariage en douce, d’Ariane Chemin (2016), basé sur le mariage privé de Seberg et Gary en Corse, en 1962, (très) peu de temps après leur divorce d’avec leurs conjoints respectifs. La naissance de leur fils, Alexandre Diego Gary, à Barcelone, la même année, est de même soigneusement cachée au public, et ne sera officiellement annoncée qu’en 1963.
Dans le documentaire d’Anne Andreu, ce même Diego, maintenant libraire en Espagne, évoque avec tendresse les moments de bonheur du couple, illustrés par des photos prises pendant leurs nombreux voyages au cours de ces premières années.
Mais cette grande histoire d’amour se détériore graduellement dans les années suivantes : leurs carrières les éloignent l’un de l’autre, et un film raté– Les Oiseaux vont mourir au Pérou (1968), écrit par Romain Gary pour sa femme, ne fait que les séparer davantage. Les nombreuses aventures extra-maritales de Seberg (sa liaison, entre autres, avec Clint Eastwood pendant le film Paint Your Wagon (La Kermesse de l’Ouest, 1968) et avec l’écrivain Mexicain Carlos Fuente, achèvent de détruire le couple, qui se sépare en 1970.
Comme le fait remarquer Clint Eastwood dans le documentaire, Jean Seberg, pendant cette période, semble ne trouver sa place ni en France ni aux Etats-Unis : elle déteste Hollywood, milieu qu’elle trouve étroit et superficiel, mais déclare ne pas trouver intéressants la plupart des rôles qu’on lui offre en France.
Un film peu connu : Lilith (1964), de Robert Rossen – que Seberg considère comme son meilleur film - se détache pourtant du lot pendant cette période : aux côtés de Warren Beatty, elle y incarne une jeune schizophrène, un rôle qu’elle avait longuement préparé par des visites d’hôpitaux psychiatriques. Sa performance remarquable fera dire aux critiques de manière peut être prémonitoire : « elle ne joue pas Lilith, elle est Lilith ».
A la fin des années soixante, Seberg se base davantage à Hollywood, et s’engage de plus en plus dans lutte pour les droits civiques d'Africains-Américains – cause que les récentes émeutes dans le Watts, en 1967, à Los Angeles, ont rendue plus brûlante. Elle contribue à financer les activités de plusieurs groupes, dont les Black Panthers,, et a une liaison avec un de leurs militants, Hakim Abdullah Jamal, personnage trouble qui l’exploite financièrement puis l’abandonne.
Ces activités lui valent d'être surveillée et mise sur écoute par le FBI, dans le cadre du COINTELPRO (Counter Intelligence Program). Durant l’été 1970. alors qu'elle est enceinte de sept mois et en procédure de divorce avec Romain Gary, le Los Angeles Times, à l’instigation secrète de J. Edgar Hoover, fait courir le bruit que le père de l’enfant est un militant de Black Panthers [5].
Dans la note copiée ci-dessus, un employé du Bureau Federal d'Investigation (FBI) demande qu'une lettre d'un auteur fictif soit transmise a des chroniqueurs mondaine pour qu'ils diffusent la nouvelle d'une grossesse de Jean Seberg afin, si possible, de l'embarrasser et de ternir son image dans le grand public. Le nom du père a été expurgé avant de divulguer la note.
Cet exemple flagrant de « fake news » détruit Jean Seberg : dévastée, elle perd la petite fille qu’elle attendait, Nina, 2 mois avant terme; elle la fait enterrer peu après dans un cercueil ouvert pour prouver le fait qu’elle était blanche. Romain Gary, toujours chevaleresque, prétend alors que l’enfant est de lui, et dénonce dans un texte virulent la diffamation de Seberg par la presse [6].
Dans les années suivantes, Seberg continue de tourner dans différents films, mais sa trajectoire suit une spirale descendante. Elle semble un moment retrouver énergie et espoir quand elle se marie pour la troisième fois en 1972, au jeune acteur et futur réalisateur Dennis Berry. Mais le couple se sépare bientôt, tandis que Seberg sombre de plus en plus profondément dans la dépression, et devient dépendante aux médicaments et à l’alcool ; elle tente plusieurs fois de se suicider (le plus souvent aux dates anniversaires de la perte de sa fille) et malgré le soutien continu de Romain Gary, qui habite non loin d’elle à Paris, Seberg semble bientôt ne plus pouvoir être sauvée, et devient sujette, comme son ancien personnage Lilith, à des crises de démence, qui la font parfois interner ou hospitaliser.
Sa dernière liaison, désastreuse, semble lui administrer le coup de grâce, comme le suggère dans le documentaire sa sœur, Mary Ann : Seberg s’est mise en ménage à Paris avec l’Algérien Ahmaed Asni, un homme violent qui la dépouille encore une fois de son argent, et la maltraite physiquement.
Un soir, elle disparaît de son appartement parisien, et on retrouve son corps, 9 jours plus tard, à l’arrière de sa voiture, avec une note écrite en français dans laquelle elle demande pardon à son fils [7]. Peu après, Romain Gary tient une conférence de presse où il dénonce la campagne de diffamation du FBI, qu’il accuse d’être à l’origine de la détérioration mentale de Seberg. Il se suicidera lui-même un an plus tard [8].
De « cette vie poétique brisée », comme la définit Dennis Berry dans le documentaire, il nous reste toutefois de merveilleuses images, et le souvenir d’une actrice dont la flamme éternelle continue de brûler en nous, comme en témoigne, entre mille autres, cette scène de Holy Motors (2012), de Leo Carax, où le fantôme de Seberg, ressuscité sous la forme de Kylie Minogue, chante une chanson d’amour et de regrets sur les toits de la Samaritaine à Paris.
[1] Ce documentaire est une co-production de L’INA, Arte France et Cinétevé.
[2] La Nouvelle Vague est un mouvement du cinéma français né à la fin des années 1950, dont les figures emblématiques sont notamment Jean-Luc Godard, François Truffaut, Éric Rohmer, Claude Chabrol, Jacques Rivette, Alain Resnais, Agnès Varda. Ce groupe attaque les schémas narratifs du cinéma français traditionnel, dit « cinéma de papa », encore calqués sur la littérature et le théâtre, en faveur d’un «cinéma d’auteur» libéré de ces conventions.
[3] Outre les films ici cités, Seberg a aussi joué, entre autres, dans : Diamonds Are Brittle (1965), La ligne de Démarcation (1966) , La Route de Corinthe (1967),The Mouse that roared (1969 ), Airport (1970)…
[4] Notamment dans Chien Blanc (1970), roman autobiographique.
[5] Le véritable père de l’enfant était Carlos Navarra, rencontré pendant un tournage au Mexique.
[6] En 1971, dans un effort pour relancer la carrière de Seberg, Gary la met en scène dans un autre film : « Kill. Kill, Kill », qui est tourné au Yemen et en Afghanistan.
[7] Peu après sa mort en 1979, la publication de documents déclassifiés fera preuve de l'opération de « neutralisation » de Seberg menée par le FBI pendant les années soixante. L’enquête conclut d’abord à un suicide, mais des circonstances suspectes (notamment le fait que Seberg avait trop d’alcool dans le sang pour pouvoir conduire) mèneront l’année suivante à l’ouverture d’un procès pour non-assistance à personne en danger.
[8] Romain Gary précisera dans la note ci-dessus que son suicide n’a rien à voir avec celui de Jean Seberg, une attestation disputée par certains commentateurs.